BURUNDI : Privatisation des entreprises publiques, est-elle la solution?

Par
Andre Nikwigize
on
6.2.2021
Categorie:
Economie
Il est fort surprenant d`entendre les autorités burundaises s`étonner que les entreprises publiques REGIDESO, ONATEL et autres, perdent de l`argent, sont dans une situation financière catastrophique de quasi-faillite, et que le Gouvernement va les privatiser. D`autant plus surprenant que la faillite d`une entreprise, publique ou privée, n`intervient pas en un jour, à moins d`une catastrophe financière soudaine, et que les pouvoirs publics ont souvent des responsabilités dans ces faillites.

Les Entreprises Publiques ont un Rôle de Service Public

De manière générale, les entreprises publiques jouent un rôle fondamental dans une économie. En plus d’assurer des missions de service public, elles exercent souvent leurs activités dans des secteurs d’importance systémique dont dépend l’ensemble de l’économie. Ces entreprises publiques sont créées dans des secteurs qui fournissent à la population des services sociaux vitaux nécessitant de gros investissements et où la rentabilité s'effectue sur le long terme. Ce sont des domaines dans lesquels les privés ne peuvent pas investir parce qu'ils veulent des profits immédiats. Ce sont notamment : la vulgarisation et l`encadrement agricoles, l`accessibilité a l`énergie et aux services de communication, la facilitation du commerce et de l`industrie, et d`autres.

C`est dans ce contexte que vers la fin des années 70, le Gouvernement de la Deuxième République a promu la création de plusieurs entreprises publiques, qui ont permis des réalisations notables au cours de la décennie 80.

Mais vers la fin des années 80, certaines entreprises publiques ont commencé à connaitre des problèmes de gestion, qui ont eu des conséquences négatives sur l`économie nationale. Leurs pertes financières ont impliqué des transferts importants (subventions, dotations en capital, emprunts) du Gouvernement pour le redressement de ces entreprises qui ne pouvaient plus assumer les tâches de développement économique et de service public qui leur étaient dévolues.

Avec les crises répétitives que le Burundi a connues depuis 1993, la situation financière de nombre d`entreprises publiques est devenue préoccupante.


Quelles sont les Raisons de la Faillite des Entreprises Publiques ?

Comme cela a été indiqué au début de cet article, la situation que les entreprises publiques vivent aujourd`hui ne devrait étonner personne, y compris les pouvoirs publics. Il y a 4 raisons à cette situation :

1) Le Manque de Planification Stratégique

Les entreprises publiques jouent un rôle prépondérant dans une économie. Elles ont une mission de service public pour appuyer le Gouvernement dans la mise en œuvre de ses programmes de développement, en particulier, l`accès de la population aux services de base : l`encadrement agricole, les communications, l`eau et l`électricité, le transport, la production des biens essentiels, mais également, assurer l`indépendance économique. Par conséquent, compte tenu des orientations du Gouvernement, toute entreprise publique doit planifier les activités pluriannuelles, qui vont servir de base pour les budgets annuels.

Il a été constaté que nombre d`entreprises publiques ne possèdent pas de tels plans stratégiques. Par exemple, la REGIDESO devrait connaitre, en début d`année, le nombre de personnes qui auront accès à l`électricité à la fin de l`année, par province, en fonction de l`énergie disponible. Cette planification permettra de connaitre le nombre de personnel nécessaire pour la mise en œuvre de ce plan, les équipements, les coûts de ces dépenses, ainsi que l`origine des ressources nécessaires à l`exécution de ces programmes. C`est a ce moment de planification qu`on identifie les goulots d`étranglement, que ce soit au niveau des équipements nécessaires ou des ressources financières, et comment y remédier en cours d`année.  

2) L'interventionnisme de l`Etat

Les multiples interventions de l'Etat sur les entreprises publiques se sont manifestées au travers des nominations de personnels aux postes de responsabilité des entreprises sans tenir compte de leurs compétences techniques et managériales. Cette pratique du clientélisme a conduit le pouvoir à nommer à la tête des entreprises publiques des hommes politiquement ou familialement proches du pouvoir, plutôt que des gestionnaires efficaces et compétents. Dans un tel environnement, les hommes se transforment en courtisans. Or, nous savons que "gestion » et « phénomènes de cour » sont difficilement compatibles. La gestion requiert en effet transparence et volonté, alors que la "cour" est fondée sur le camouflage, condition essentielle de l'absence de "vagues" indispensable à la survie. La gestion est focalisée vers le bas, le terrain et les clients, alors que la "cour" est tournée vers le haut, dont il faut prévenir les désirs.

La personne qui a été nommée dans ces conditions se comporte comme un vrai courtisan de ceux qui l`ont placée à ce poste. Il doit servir les intérêts du pouvoir et non de l`entreprise dont elle a la charge, surtout, si la personne est consciente qu`elle n`a pas les compétences requises pour le poste. Le Ministre de tutelle se mêle de la gestion quotidienne de l`entreprise. La priorité sera de plaire aux autorités qui l`ont placé à ce poste, et non la rentabilité de l`entreprise publique.


3) La Gestion Défectueuse de l`Entreprise Publique

La gestion des entreprises publiques est, le plus souvent, fortement très centralisée et très hiérarchisée. Ce sont des structures rigides, totalement inadaptées à des entreprises qui doivent réagir vite dans une conjoncture nationale et internationale changeante.

Le Directeur Général, qui a été nommé selon les critères ci-haut indiqués, va, en priorité, se fixer des attributions, des primes et indemnités, en s`entourant, à son tour, d`une « cour », qui bénéficie des mêmes avantages. Puisqu`il est, lui-même, protégé par les autorités du pays.

L`entreprise est alors plongée dans une situation financière plus que préoccupante : déficits cumulés, endettement excessif et trésorerie négative. Les systèmes de gestion (comptabilité analytique, contrôle de gestion, tableaux de bord, comptabilité générale...), ne sont pas tenus de manière rigoureuse, tandis que la gestion se fait au jugé dans une perspective à court terme, ce qui résulte de l'absence d'une planification stratégique, c'est-à-dire à long terme. La productivité et la gestion optimale du personnel ne sont pas rigoureuse, d`autant plus que beaucoup de ce personnel n`ont pas les compétences requises, et que le gestionnaire ne peut pas les remercier, puisqu`ils sont protégés par certains membres haut-placés du pouvoir.

La transparence et la corruption conduisent à la quasi-faillite de l`entreprise. Les contrats de fourniture des biens et services à l`entreprise sont attribués aux membres de la famille ou aux entreprises appartenant aux hommes du pouvoir, et les commissions techniques d`attribution des marchés ne sont que des passerelles pour endosser les décisions prises au plus haut niveau. L`Etat et ses services s`endettent auprès de leurs entreprises publiques, ils consomment des services qu`ils ne remboursent pas, que ce soit pour la fourniture d`électricité, les services de communication, et autres.

Confronté aux problèmes de trésorerie, pour payer son personnel et le fonctionnement, ne pouvant plus financer les investissements et les équipements de production, le Directeur Général va s`endetter auprès des institutions bancaires et financières, nationales et internationales, souvent avec l`aval de l`Etat. N`étant pas en mesure de rembourser ces prêts, la société va se retrouver en cessation de paiement. A qui la faute ?

4) Une Administration Politisée de l`Entreprise

Le Conseil d'Administration joue rarement  son rôle de coordinateur efficace des activités de l`entreprise publique. Il est réduit souvent à une chambre d'enregistrement des décisions du pouvoir de tutelle: les membres sont des fonctionnaires de l`Etat, qui ont du mal à remettre en cause les décisions de leur ministre ou du responsable de l`entreprise publique, le protégé du pouvoir. Cette difficulté s`ajoutant à l`incompétence des membres de ces Conseils, qui, souvent, n`ont pas les rudiments de gestion d`une entreprise ou le suivi des indicateurs de performance d`une entreprise bien gérée.

Le Conseil d`Administration n`a aucune autonomie d`administration. Les membres se contentent de toucher les émoluments et approuver toutes les décisions leur soumises par le manager.

Est-il alors nécessaire de Privatiser les Entreprises Publiques ?

L`entreprise publique a une mission de service public, mais elle peut, ou plutôt doit, être rentable, au même titre que toute autre entreprise. Face à une situation financière préoccupante de l`entreprise publique, dont les causes ont été identifiées ci-haut, la tendance des pouvoirs publics est de penser que la solution est la privatisation, estimant qu`une entreprise privée est plus performante qu`une entreprise publique. La vérité est qu`une entreprise privée ferait également faillite si elle n`applique pas les méthodes rigoureuses de gestion.

Il est, par exemple, regrettable de constater qu`une entreprise publique, comme l`ONATEL, qui existe depuis plus de 40 ans, n`ait été en mesure d`assurer la couverture des services d`internet qu` à moins de 3 pour cent de la population burundaise, que son chiffre d`affaires ait baissé de 20 milliards de Francs Burundais à 5 milliards de Francs Burundais en 10 ans, que durant la même période, elle ait accumulé des dettes de 117 milliards de Francs Burundais, sous le regard bienveillant du Conseil d`Administration et du Ministère de Tutelle. La même situation se rencontre à la REGIDESO, et à d`autres entreprises publiques.

Dans toute entreprise, qu`elle soit publique ou privée, les notions-clés sont : profit, productivité, efficacité, efficience, logique de marché, qui sont le fondement et la base de la réalité économique. Une entreprise publique peut appliquer les mêmes critères de performance.

D`autre part, l`entreprise privée, étant intéressée par le profit uniquement, les aspects de service public à la population seront exclus de son champ d`activité.

Compte tenu de la composante de service public, confiée aux entreprises publiques, l`Etat devrait renforcer les systèmes de gestion de ses entreprises, en veillant à une bonne planification stratégique des entreprises, une gestion rigoureuse, suivie de sanctions, en accordant une plus grande autonomie aux conseils d`administration, en finançant le remplacement des équipements, et accordant des subventions, quand c`est justifié, et conformément au programme d`action gouvernemental .

Quelles Solutions ?

Comme dit plus haut, une entreprise publique peut et doit être rentable, à condition que :

- Les dirigeants de ces entreprises soient recrutés pour leurs compétences professionnelles et managériales, si nécessaire, procéder par appel de services, national ou international. Le personnel d`appoint devrait suivre la même procédure.

- Le responsable d`une entreprise publique devra suivre un Cahier des Charges bien précis, et des indicateurs de performance devront être régulièrement évalués par le Conseil d`Administration, sur base du plan stratégique et des orientations de l`Etat.

- Tout écart de gestion doit être signalé à temps, et les mesures de redressement prises immédiatement.

En cas de besoin, l`Etat peut envisager l`ouverture du capital au secteur privé.

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Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991