Dictature sans discipline : pourquoi le Burundi stagne

Si le CNDD-FDD insiste pour gouverner de manière centralisée et dictatoriale, sa légitimité doit découler des résultats, et non de la répression. Le parti ne peut pas prétendre défendre la souveraineté alors que les citoyens font la queue pour le carburant, se battent pour le sucre et fuient le pays dans le désespoir. Chaque “dictateur bâtisseur” de l’histoire a compris que le contrôle sans compétence mène à l’effondrement.

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22.10.2025
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Economie
Si l’élite du CNDD-FDD doit être dictatoriale, qu’elle le soit au moins de manière efficace comme les dictateurs bâtisseurs modernes

L’espoir d’une gouvernance démocratique et libérale au Burundi n’est plus une perspective réaliste sous le parti au pouvoir actuel, le CNDD-FDD. Le changement est désormais complet : il s’agit d’une dictature totale, déguisée en démocratie.

Puisqu’il n’y a aucun espoir d’un retour soudain à une gouvernance démocratique, les architectes de cette dictature devraient au moins mettre à profit la force et le pouvoir qu’ils ont accumulés pour le bien du pays, plutôt que d’utiliser l’oppression brutale et l’enrichissement rapide comme simples moyens pour leurs fins personnelles.

Lorsque le CNDD-FDD (Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie) a pris le pouvoir en 2005, le Burundi semblait prêt pour un renouveau. Les Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation avaient posé les bases d’une démocratie consociative — équilibre ethnique, partage du pouvoir et contrôle institutionnel après des années de guerre civile. Le nouveau gouvernement, dirigé par Pierre Nkurunziza, a commencé avec un air d’optimisme et de respect pour cet ordre fragile.

Deux décennies plus tard, cette promesse s’est effondrée. Le CNDD-FDD a progressivement transformé son mouvement de libération en un appareil d’État-parti, éliminant l’opposition, cooptant l’armée et gouvernant par la peur plutôt que par le consensus. Le coût économique a été dévastateur. Le PIB réel par habitant est revenu en dessous des niveaux d’après-guerre, autour de 200 USD, tandis que l’inflation a grimpé à près de 40 % début 2025. Environ 62 % des Burundais vivent désormais avec moins de 2,15 USD par jour. Le carburant, le sucre, les médicaments et même l’électricité sont chroniquement rares ; les hôpitaux et les écoles souffrent régulièrement de pénuries, et le taux de change sur le marché noir érode le pouvoir d’achat quotidien.

Le désespoir est palpable : les jeunes femmes partent de plus en plus pour travailler comme domestiques au Moyen-Orient, souvent dans des conditions proches de l’esclavage, tandis que les jeunes hommes prennent des risques périlleux pour fuir le pays, désespérés face au chômage et à l’absence d’avenir. Jadis symbole de réconciliation post-conflit, le Burundi est aujourd’hui l’économie la moins performante d’Afrique de l’Est, loin derrière ses voisins en termes de revenus, d’investissements et d’infrastructures.

Si l’élite du CNDD-FDD insiste pour maintenir un contrôle quasi-total, elle pourrait au moins gouverner avec compétence et vision, utilisant sa domination pour bâtir une nation stable et prospère plutôt que pour préserver ses seuls privilèges. L’histoire rappelle que tous les dictateurs ne se valent pas : certains ont été des bâtisseurs de nations, utilisant discipline, vision et autorité de l’État pour moderniser leur société et améliorer la vie de leur peuple. Si les dirigeants du Burundi pouvaient émuler ne serait-ce qu’une fraction de cet héritage — gouverner fermement mais avec prévoyance — l’histoire pourrait encore se souvenir d’eux non pas comme d’opresseurs, mais comme des architectes du renouveau.

Marc Aurèle : L’idéal stoïcien du pouvoir

Bien avant les temps modernes, Marc Aurèle, empereur-philosophe de Rome, incarnait l’idée que le pouvoir absolu doit répondre à la vertu. Son règne était guidé par la discipline, la retenue et le service au bien commun. Son exemple demeure un rappel que les dirigeants les plus forts sont ceux qui se gouvernent d’abord eux-mêmes.

Lee Kuan Yew (Singapour) : Discipline contre Déchéance

Le Premier ministre fondateur de Singapour, Lee Kuan Yew (1959–1990), a gouverné d’une main de fer mais avec intégrité. Il limitait la dissidence et contrôlait la politique avec rigueur, tout en faisant de l’intégrité et de l’efficacité des principes non négociables. Sa lutte contre la corruption, son insistance sur la méritocratie et ses investissements dans l’éducation ont transformé Singapour d’une île marécageuse en l’une des économies les plus avancées du monde.

Si les dirigeants du Burundi désirent l’ordre, ils pourraient commencer par se gouverner eux-mêmes avec la même discipline qu’ils exigent de leurs citoyens. Il est inutile de prêcher le travail, la responsabilité ou l’honnêteté quand l’élite dirigeante agit exactement à l’opposé. Ce qui est alarmant — et profondément décourageant — c’est qu’ils ne cachent même plus leur mépris pour les pauvres et les citoyens ordinaires. Ils exhibent des richesses mal acquises, s’adonnent à la débauche et pillent l’État ouvertement, sans crainte de répercussions. Dans un tel environnement — où la corruption est célébrée et l’impunité règne — ni discipline ni progrès ne peuvent s’enraciner. Un laissez-faire pour les riches n’est pas de la gouvernance ; c’est un effondrement moral déguisé en autorité.

Burundi en chiffres – 2025
  • PIB par habitant (réel) : ~ 200 USD (en dessous des niveaux de 2005)
  • Inflation : ~ 40 %
  • Taux de pauvreté : ~ 62 % vivent avec moins de 2,15 USD/jour
  • Accès à l’électricité : irrégulier dans les villes, quasi inexistant dans les zones rurales
  • Pénuries chroniques : carburant, sucre, médicaments
  • Migration : augmentation des départs de jeunes femmes pour le travail domestique au Moyen-Orient et des jeunes hommes tentant de fuir le pays
  • Classement économique : le moins performant d’Afrique de l’Est et deuxième pays plus pauvre du monde
  • État des infrastructures : la majorité des installations industrielles et réseaux modernes datent des années Bagaza (1976–1987), très peu de développement depuis

Mustafa Kemal Atatürk (Turquie) : Réforme par la force

Dans les années 1920, Atatürk a hérité d’un Empire ottoman en déclin et a utilisé une autorité implacable pour imposer la laïcité, les droits des femmes et la réforme industrielle. Son autoritarisme était un véhicule de progrès, et non un moyen de préservation personnelle. Le pouvoir, pour lui, était un instrument de transformation, pas une forteresse de privilèges.

C’est exactement le contraire de ce qui se passe au Burundi. Le pouvoir est devenu un outil pour l’enrichissement illicite et l’oppression. L’État est exploité à des fins personnelles, tandis que très peu est fait pour bâtir des institutions capables de servir tous les citoyens. Des slogans tels que « Burundi Pays Emergent d’ici 2040 » ou « Pays Développé d'ici 2060» ne sont que cela — des slogans. Aucun progrès réel n’est possible lorsque la préservation personnelle et la soif d’enrichissement rapide et facile sont les seules motivations pour accéder au pouvoir.

Paul Kagame (Rwanda) : Résultats d'abord

De l’autre côté de la frontière, Paul Kagame offre un modèle imparfait mais instructif. Depuis 2000, son gouvernement tolère peu la dissidence, mais il a construit des infrastructures, une gouvernance digitale et une efficacité institutionnelle enviées par la plupart des États africains. Kigali est propre, sûr et fonctionnel — reflet d’un dirigeant qui considère le pouvoir comme un outil de modernisation. Le Rwanda de Kagame est loin d’être libre, mais il démontre que gouverner en homme fort peut au moins produire des résultats.

Pour des raisons historiques et d’alliance ethnique — une sorte de solidarité négative, les dirigeants burundais peuvent rejeter son style, mais ils ne peuvent ignorer son succès dans la transformation du contrôle en compétence. Même Jérémie Ngendakumana, ancien secrétaire général du CNDD-FDD tombé en disgrâce après 2015, l’a reconnu dans une rare analyse candide. Il a contrasté l’efficacité du FPR rwandais, au pouvoir depuis 1994, avec la stagnation et le déclin du Burundi. Son évaluation sobre — presque impensable au sein d’un parti où tout ce qui touche au Rwanda est traité comme toxique — souligne silencieusement une vérité que beaucoup de Burundais reconnaissent mais que peu osent exprimer.

Jean-Baptiste Bagaza (Burundi) : L’architecte du Burundi moderne

À la fin des années 1970, Jean-Baptiste Bagaza, jeune officier de l’armée, prend le pouvoir et lance un projet de transformation nationale sur une décennie. Son règne (1976–1987) fut marqué par la stabilité, une gouvernance efficace et un remarquable accent sur la modernisation et les infrastructures.

Sous sa direction, le Burundi est passé d’une société purement agraire aux premiers signes d’industrialisation et d’un État moderne. Il supervisa la création de toutes les industries étatiques encore existantes aujourd’hui, modernisa le réseau électrique et améliora l’approvisionnement en eau de Bujumbura, posant les bases du développement urbain et économique. Son administration, principalement composée de jeunes ministres compétents, était remarquable par son efficacité et sa relative incorruptibilité, démontrant qu’un État autoritaire discipliné pouvait réellement bâtir et servir ses citoyens.

Bagaza incarne l’archétype du dictateur bâtisseur : un dirigeant qui utilise son autorité non pour l’enrichissement personnel, mais pour construire les institutions, infrastructures et systèmes sociaux nécessaires au progrès durable d’une nation. Les dirigeants contemporains du Burundi pourraient s’inspirer de son modèle, en combinant contrôle ferme et développement stratégique pour laisser un héritage durable.

La leçon pour l’élite du CNDD-FDD

Si le CNDD-FDD insiste pour gouverner de manière centralisée et dictatoriale, sa légitimité doit découler des résultats, et non de la répression. Le parti ne peut pas prétendre défendre la souveraineté alors que les citoyens font la queue pour le carburant, se battent pour le sucre et fuient le pays dans le désespoir. Chaque “dictateur bâtisseur” de l’histoire a compris que le contrôle sans compétence mène à l’effondrement.

Le Burundi n’a pas besoin de nouveaux slogans sur le patriotisme ou la sécurité — il a besoin de dirigeants qui comprennent que même le pouvoir autoritaire doit créer, et non consommer. Sinon, le CNDD-FDD sera rappelé non pas comme le gardien de l’ordre, mais comme l’auteur de la stagnation du Burundi.

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