Ndayishimiye devrait s’inquiéter : Leçons de Madagascar avec Randrianirina et le cas Bunyoni
Tout comme à Madagascar, le risque majeur réside dans l’environnement économique et social volatile du Burundi. L’inflation galopante, les pénuries de carburant, de sucre et de médicaments, ainsi que la hausse des prix alimentaires créent une frustration généralisée parmi la population. Contrairement à Randrianirina, qui a pu mobiliser les jeunes pour légitimer sa prise de pouvoir, l’influence de Bunyoni reste surtout limitée aux cercles élitaires et militaires.
Bujumbura, Burundi – L’ascension fulgurante du colonel Michael Randrianirina à Madagascar offre une mise en garde claire au président Évariste Ndayishimiye. En quelques jours seulement, Randrianirina est passé d’une relative obscurité au pouvoir national, s’emparant de la présidence après avoir rejoint les manifestations dirigées par les jeunes contre le président Andry Rajoelina.
Randrianirina est décrit comme un officier mystérieux : malgré sa position à la tête de l’unité militaire la plus puissante de Madagascar, peu d’informations le concernant sont accessibles au public. Né en 1974 à Sevohipoty, dans la région sud d’Androy, il a occupé des postes de responsabilité très jeune. Il a été gouverneur d’Androy entre 2016 et 2018 sous l’ancien président Hery Rajaonarimampianina, avant de devenir commandant d’un bataillon d’infanterie à Toliara jusqu’en 2022. Critique virulent de Rajoelina — un entrepreneur qui avait pris le pouvoir par un coup d’État en 2009, démissionné en 2013 puis revenu au pouvoir après des élections cinq ans plus tard — Randrianirina s’était déjà positionné comme un officier réformiste.
En novembre 2023, il a été emprisonné dans une prison de haute sécurité sans procès, accusé d’incitation à la mutinerie et de tentative de coup d’État. Des étudiants, des soldats et des hommes politiques ont dénoncé une arrestation à motivation politique. Libéré quelques mois plus tard, en février 2024, il s’est rapidement allié aux manifestations dirigées par la jeunesse. Quelques heures avant d’annoncer sa prise de pouvoir, il s’est décrit à la BBC comme un simple « serviteur du peuple », dégageant charme, hospitalité et confiance — mais sans arrogance.
Cette ascension soudaine et apparemment facile met en lumière le danger pour des dirigeants comme Ndayishimiye. Au Burundi, l’arrestation de l’ancien Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Alain-Guillaume Bunyoni, rappelle, d’une certaine manière, les vulnérabilités politiques illustrées à Madagascar — mais avec des différences importantes.
Bunyoni, figure centrale des cercles du CNDD-FDD et acteur clé de la répression des manifestations de 2015 contre le troisième mandat de Nkurunziza, est aujourd’hui emprisonné sur des accusations largement considérées comme politiquement motivées. Officiellement, il est accusé de vouloir renverser le régime Ndayishimiye ; des charges de corruption et de mise en danger de l’économie nationale ont été ajoutées. Il ne fait aucun doute que Bunyoni est un général corrompu ayant exploité ses fonctions pour s’enrichir, mais il n’est pas le seul dans le régime à avoir bénéficié de pratiques similaires. Ndayishimiye lui-même et son épouse sont accusés d’enrichissement excessif, contrôlant l’importation et la commercialisation du carburant, accaparant les principaux marchés publics et même lançant récemment une nouvelle franchise de téléphonie mobile, Lyca Mobile, destinée à concurrencer Viettel/Lumitel. Bunyoni, bien qu’il ne soit pas un homme innocent, a été poursuivi de manière sélective simplement parce que Ndayishimiye le considérait comme un rival qu’il ne pouvait politiquement contenir.
Bunyoni pourrait ne plus avoir beaucoup de temps pour représenter un risque réel : des rapports indiquent qu’il serait gravement malade. Cependant, il demeure un symbole puissant pour les factions militaires et les loyalistes du parti, et reste redouté au sein du CNDD-FDD. Certains généraux influents réclament sa libération, mais après avoir observé le coup de Madagascar, Ndayishimiye est peu susceptible de céder à cette demande.
Tout comme à Madagascar, le risque majeur réside dans l’environnement économique et social volatile du Burundi. L’inflation galopante, les pénuries de carburant, de sucre et de médicaments, ainsi que la hausse des prix alimentaires créent une frustration généralisée parmi la population. Contrairement à Randrianirina, qui a pu mobiliser les jeunes pour légitimer sa prise de pouvoir, l’influence de Bunyoni reste surtout limitée aux cercles élitaires et militaires. Néanmoins, la possibilité d’une mobilisation de la jeunesse, si une faction de l’armée venait à s’allier à lui, existe bel et bien. Cette éventualité devrait inquiéter Ndayishimiye, qui est perçu non seulement comme le symbole des difficultés économiques au Burundi, mais aussi comme celui de l’excès et de la corruption au plus haut niveau.
Le président burundais fait face à un délicat exercice d’équilibrisme. Purger ou emprisonner des rivaux puissants comme Bunyoni renforce l’autorité à court terme, mais risque d’aliéner des segments de l’armée et de l’élite politique. Parallèlement, la détérioration de la situation économique pourrait déclencher un mécontentement populaire et créer les conditions de manifestations de grande ampleur, semblables à celles de Madagascar. Dans ce scénario, il n’est pas certain que Ndayishimiye puisse compter sur le soutien total de l’armée. L’exemple de Randrianirina montre qu’une intersection entre l’influence militaire et l’activisme des jeunes peut renverser même les régimes les plus établis en quelques jours.
La leçon est claire : Bunyoni n’a peut-être pas le charisme public de Randrianirina, mais les vulnérabilités structurelles du Burundi — stress économique, factionnalisme élitaire et colère sociale latente — créent un environnement instable. Si Ndayishimiye ne traite pas ces pressions de manière proactive, le pays pourrait connaître un bouleversement soudain, même sans figure militaire charismatique.
Peut-être est-ce la raison pour laquelle, ces deux derniers jours, le franc burundais a gagné de la valeur face au dollar, passant d’un record de 7 500 BIF pour un dollar à 5 300 BIF. Selon des sources, la Banque centrale, contrôlée depuis la présidence, aurait été sommée de « saturer » le marché de dollars afin de donner l’illusion d’une amélioration. Ce geste contraste avec le contrôle strict et sélectif exercé par le régime depuis l’arrivée de Ndayishimiye, qui réservait les devises aux proches tout en limitant l’accès à la majorité des importateurs. La crainte du « effet Madagascar » pourrait donc expliquer cette décision récente.
La situation malgache constitue ainsi un avertissement pour Ndayishimiye. La consolidation à court terme du pouvoir sur les élites peut sembler solide, mais la combinaison de difficultés économiques, de rivalités au sein du régime et d’une jeunesse politiquement consciente pourrait transformer des figures symboliques comme Bunyoni en catalyseurs de contestation. Madagascar démontre à quelle vitesse un pays peut basculer lorsque l’influence militaire converge avec le mécontentement populaire. Ignorer ces leçons serait un pari extrêmement risqué pour Ndayishimiye.