Minembwe sous blocus des hommes de Ndayishimiye: un blocus humanitaire sous silence — la responsabilité du droit international en jeu

Ceci n’est pas une prédiction mécanique mais une analyse de risque plausible: en politiques de sécurité, viser un groupe ethnique ou communautaire lié à un mouvement armé tend à radicaliser la réponse de ce mouvement, surtout si les régions frontières passent sous son contrôle. Dans les pires scénarios, le tempo et la brutalité de la vengeance peuvent être rapides et déstabilisants pour les autorités qui l’auront provoquée.

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7.11.2025
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Diplomatie

Didier Hakizimana

Sociologue, candidat au Doctorat

En lisant votre article qui rapporte que les membres de la communauté banyamulenge, excédés par les exactions indicibles commises par des soldats burundais massivement déployés en RDC exigent le retrait immédiat de ces troupes étrangères.

En effect comme vous l'écrivez, depuis plusieurs mois, Minembwe subit un blocus humanitaire d’une gravité inqualifiable. Ils vivent sous un blocus total imposé par les troupes de Ndayishimiye, qui semblent avoir décidé que le seul moyen d'endiguer la progression du M23 est d'encercler, de soumettre et de contrôler les Banyamulenge, dont sont issus de nombreux éléments du M23. Mais, comme je l'expliquerai ci-dessous, Ndayishimiye commet une erreur personnelle et une faute politique majeure qui risquent de l'exposer à de graves conséquences, d'attirer la colère du M23 sur son régime et d'entraîner le Burundi dans une guerre dont il n'a pas besoin et qu'il ne peut absolument pas se permettre de financer.

Les Banyamulenge exigent le retrait immédiat des militaires burundais des hauts plateaux de Minembwe

Car, disons-le clairement : il y aura l'heure de règlement de comptes, et elle ne sera pas belle à voir. Kinshasa ne viendra pas au secours de Ndayishimiye, car l'aide militaire que Gitega fournit actuellement à Kinshasa n'est pas une aide désintéressée, mais un service payant. Voici le scénario que Ndayishimiye doit anticiper si le M23 parvient à prendre Uvira. S'il réussit à repousser ce puissant mouvement rebelle, il aura alors moins de soucis.

Une situation contraire au droit international humanitaire

Selon le droit international humanitaire (DIH), notamment les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels, toute mesure visant à affamer délibérément une population civile ou à entraver l’acheminement de secours humanitaires constitue une violation grave du droit de la guerre. L’article 54 du Protocole additionnel I interdit expressément « l’emploi de la famine des civils comme méthode de guerre ».

Une armée étrangère qui participe à un tel blocus, en collaboration avec les forces d’un État tiers, s’expose à des accusations de crimes de guerre et, selon la systématicité et l’intention des actes, à des poursuites pour crimes contre l’humanité, conformément aux articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).

Dans le cas présent, l’armée burundaise a été déployée en République démocratique du Congo sur la base d’un accord bilatéral resté secret, jamais ratifié par les parlements ni de Gitega ni de Kinshasa.
Une telle entente, non ratifiée et non rendue publique, n’a probablement pas de valeur juridique internationale solide au sens de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969). Elle ne peut donc justifier une présence militaire prolongée ni les actes commis sur le territoire congolais, surtout la systématicité d'un blocus des peuples civils non-combattants.

En agissant ainsi, le président Évariste Ndayishimiye risque de se placer en dehors des cadres légal interne et international. Sans couverture parlementaire, et sans mandat clair (régional ou international) autorisant une telle opération, il s’expose personnellement à des poursuites internationales pour les violations graves du droit humanitaire commises par ses troupes.

Le Statut de Rome de la CPI (articles 25 et 28) prévoit que tout dirigeant politique ou militaire peut être tenu personnellement responsable des crimes commis par des forces placées sous son autorité, s’il les ( violations du droit humanitaire) a ordonnés, encouragés ou tolérés.
Ainsi, si le blocus humanitaire de Minembwe et les attaques ciblant les civils étaient établis, le président Ndayishimiye pourrait être directement mis en cause pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, en raison de la chaîne de commandement qu’il contrôle.

Car un accord bilatéral, aussi solide soit-il, ne peut justifier ni couvrir le blocus de populations civiles d'un pays tiers, les privant de biens de première nécessité et mettant ainsi leur survie en danger. Si Gitega ne dispose pas de juristes capables d'expliquer cela, Kinshasa peut l'aider, car son armée compte de nombreux experts juridiques qui peuvent expliquer ce simple fait à Ndayishimiye.

Drones, bombardements et déplacement massif de civils

Les habitants de Minembwe rapportent également des bombardements effectués à l’aide de drones opérés depuis Bujumbura, la capitale économique du Burundi. Ces attaques, qui auraient provoqué d’importantes destructions et un sentiment d’insécurité généralisée, accentuent la précarité d’une population déjà privée d’accès humanitaire.

Les chiffres évoqués par les manifestants sont édifiants : plus de 328 000 déplacés internes et 548 villages détruits (chiffres revendiqués par des manifestants et organisations locales). Ces violations, si elles sont confirmées, pourraient constituer des violations massives des droits humains fondamentaux, notamment du droit à la vie, du droit à la santé, et du droit à l’alimentation, consacrés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

Ces drones sont probablement pilotés par des mercenaires étrangers basés à Bujumbura et payés par Kinshasa. Il s'agit là d'un nouveau risque auquel Ndayishimiye expose son pays. Compte tenu des relations tendues entre les deux pays et le discours belliqueux de Ndayishimiye, Kigali considérera très probablement l'existence de mercenaires opérant des drones depuis Bujumbura comme un danger existentiel qu'il convient de gérer.

Une présence militaire controversée

Depuis décembre 2021, l’armée burundaise a envoyé plusieurs centaines de soldats sur le sol congolais. Au départ, la mission était officiellement pour combattre des groupes armés d’opposition burundais opérant dans la région frontalière. Ces contingents ont été progressivement renforcés par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, dont certains sont accusés de graves violations des droits de l’homme.

Aujourd’hui, on estime à dizaines de milliers (estimations ouvertes à vérification) le nombre de militaires burundais et de miliciens pro-régime massés à l’est de la RDC — un déploiement qui, selon plusieurs observateurs, a transformé une opération ciblée en présence militaire de grande ampleur.

Il existe vraisemblablement un accord bilatéral entre Kinshasa et Gitega, et ces troupes opèrent désormais en vertu de cet accord.

L’enjeu géopolitique, le risque de débordement et la responsabilité de Gitega

Face à l’avancée du M23, qui a mené des offensives importantes dans l’est de la RDC (les prises de Goma et Bukavu ), Gitega a choisi d’intervenir militairement aux côtés des forces loyalistes, officiellement pour contenir le groupe rebelle. Ces dynamiques ont rendu la frontière sud-est du lac Tanganyika, autour d’Uvira, l’un des points chauds de la région, avec des épisodes de panique civile et d’afflux de déplacés.

Il est crucial d’expliciter un risque stratégique majeur : en s’attaquant, en séquestrant et en réprimant durement les Banyamulenge d’où proviennent une part importante des effectifs du M23, Gitega vise probablement la protection de ses frontières ; mais elle s’expose à la logique de la vengeance et à une escalade. Si le M23 venait à consolider sa domination sur les axes frontaliers (ou à prendre contrôle de portions critiques de la frontière, donc la ville d'Uvira), la capacité de représailles contre les intérêts burundais et contre le pouvoir du CNDD-FDD deviendrait plus directe et plus dangereuse. Les représailles peuvent prendre des formes militaires (coups contre postes, attaques transfrontalières) mais aussi politiques et symboliques — visant l’autorité et la légitimité du régime.

En prenant cette posture, Gitega a probablement conclu qu’une victoire militaire directe du M23 sur Uvira et la frontière ne surviendrait pas immédiatement ; mais en choisissant la voie de la répression ciblée contre les Banyamulenge, le pouvoir burundais augmente le risque d’un revers stratégique rapide. Si le M23 sécurise l’axe frontalier, il pourra, à court terme, infliger des coups d’une portée politique et militaire élevée — une dynamique qui, en cas d’intensification, pourrait menacer la stabilité du régime du CNDD-FDD, jusqu’à exposer sa haute hiérarchie à des risques de perte d’autorité, de fractures internes ou même d’“exposition” (i.e. embarras stratégique, isolement régional, ou pire).

Ceci n’est pas une prédiction mécanique mais une analyse de risque plausible: en politiques de sécurité, viser un groupe ethnique ou communautaire lié à un mouvement armé tend à radicaliser la réponse de ce mouvement, surtout si les régions frontières passent sous son contrôle. Dans les pires scénarios, le tempo et la brutalité de la vengeance peuvent être rapides et déstabilisants pour les autorités qui l’auront provoquée.

Didier Hakizimana

Sociologue, candidat au Doctorat

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