Les hommes qui bâtissent : Au-delà d'être dictateurs, ce sont des gestionnaires et managers
Le président Évariste Ndayishimiye, qui déclarait en 2020 qu’il allait « résoudre personnellement » la crise du carburant, se retrouve aujourd’hui, cinq ans plus tard, à présider une pénurie encore plus profonde et chaotique. Au lieu de confier le problème à des experts, il l’a personnalisé. Résultat : désordre, improvisation et frustration publique.Le même schéma se répète ailleurs. Le gouvernement dénonce la corruption avec force discours, mais la corruption prospère dans le silence — y compris au sommet de l’État.
À travers les époques, les nations se sont élevées ou effondrées non pas selon la force de leurs dirigeants, mais selon la qualité de leur gestion. Les hommes qui bâtissent, donc les vrais bâtisseurs de nations, ne sont pas de simples dictateurs : ce sont des gestionnaires. Ils possèdent la discipline de planifier, l’humilité d’écouter les experts et la sagesse de laisser les talents s’exprimer.
Le Burundi d’aujourd’hui illustre tragiquement ce qui arrive lorsqu’un leadership confond autorité et compétence.
Le bâtisseur gestionnaire : un modèle oublié
Jean Baptiste Bagaza, ancien président du Burundi, demeure l’un des meilleurs exemples de dirigeant gestionnaire de notre histoire. Sorti des décombres du colonialisme, Bagaza a gouverné non pas par la peur, mais par la rigueur. Il a bâti des institutions, industrialisé des secteurs, étendu l’éducation et posé les bases d’une administration efficace. Son Burundi, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, était un État organisé, respecté et envié par ses voisins.
De même, Ian Khama, au Botswana, a su transformer un pays pauvre et peu peuplé en un modèle africain d’efficacité, de faible corruption et de bonne gouvernance. Il déléguait aux compétences, exigeait la reddition de comptes et plaçait la gestion avant la politique.
Et plus au nord, Paul Kagame, que beaucoup de dirigeants burundais considèrent comme un ennemi, incarne ce que la discipline managériale peut accomplir. Le Rwanda n’est pas parfait, mais son modèle de gouvernance repose sur une philosophie simple : imposer l’ordre, faire confiance aux technocrates, récompenser la performance. La transformation du Rwanda, du chaos à la cohérence, est le fruit d’une gestion disciplinée et orientée vers les résultats.
Ces hommes ne sont pas des dirigeants « doux ». Ils sont fermes. Mais leur fermeté sert un but — non pas leur ego, mais la construction.
Le Burundi d’aujourd’hui : une dictature sans discipline
Le drame du Burundi actuel, c’est qu’il incarne l’exact opposé du leadership gestionnaire. Le journal Burundi Daily l’a bien résumé dans son article intitulé « Dictature sans discipline : pourquoi le Burundi stagne ». L’article décrit un État qui centralise le pouvoir mais échoue à l’organiser: une dictature sans gestion, une autorité sans compétence.
Le président Évariste Ndayishimiye, qui déclarait en 2020 qu’il allait « résoudre personnellement » la crise du carburant, se retrouve aujourd’hui, cinq ans plus tard, à présider une pénurie encore plus profonde et chaotique. Au lieu de confier le problème à des experts, il l’a personnalisé. Résultat : désordre, improvisation et frustration publique.
Le même schéma se répète ailleurs. Le gouvernement dénonce la corruption avec force discours, mais la corruption prospère dans le silence — y compris au sommet de l’État. Des rapports affirment que les grands marchés publics sont désormais dominés par la famille présidentielle et ses proches. Au lieu de réformer le système, le pouvoir l’a absorbé.
Rappelons que des milliards de francs d’aide internationale restent inutilisés, bloqués par la lenteur administrative et l’incompétence. Marque d’un régime qui contrôle tout, sauf la performance.
Une phrase résume tout : « Nous avons une dictature sans discipline, un pouvoir fort sans rigueur. »
Voilà le paradoxe du Burundi d’aujourd’hui : une autorité qui ne sait pas livrer, un pouvoir incapable de produire.
Diriger, c’est gérer
La leçon est claire : ce n’est pas la force, mais la gestion qui bâtit les nations.
Un gestionnaire fixe des objectifs, construit des équipes, mesure les progrès et impose la responsabilité.
Un dictateur, lui, donne des ordres, centralise les mérites et rejette la faute sur les autres quand tout s’effondre.
Les dirigeants africains les plus réussis de l’après-indépendance, du socialisme discipliné de Nyerere au conservatisme managérial de Khama, partageaient une même qualité : ils gouvernaient en gestionnaires. Ils déléguaient. Ils planifiaient. Ils suivaient les résultats. Et ils savaient corriger la trajectoire. À l’inverse, le leadership burundais actuel agit dans la réaction et l’improvisation, gouverne par décrets, répond aux crises par des slogans, et confond loyauté politique avec compétence professionnelle. Le résultat est prévisible : stagnation, voire régression.
Pour une renaissance managériale
Si le Burundi veut se relever, il doit redécouvrir l’esprit gestionnaire de l’ère Bagaza, discipliné, pragmatique, technocratique. Il doit reconstruire des institutions solides, qui survivent aux individus. Le système de santé, l’économie, l’éducation, la planification et gouvernance, tous appellent à une gouvernance de gestion, pas de propagande.
La différence entre les hommes qui bâtissent et ceux qui dictent n’est pas sémantique : elle détermine si un pays progresse ou s’enfonce.
Le bâtisseur délègue, le dictateur microgère.
Le bâtisseur récompense le mérite, le dictateur récompense la loyauté.
Le bâtisseur impose la discipline, le dictateur exige l’obéissance.
Le Burundi ne manque ni de ressources ni de talents.
Il manque de gestion.
Il manque de dirigeants qui comprennent que diriger, ce n’est pas parler fort, mais organiser avec rigueur.
L’histoire n’honorera pas les beaux parleurs.
Elle retiendra les bâtisseurs, les gestionnaires, ceux qui auront su transformer le désordre en ordre, l’improvisation en discipline, la pauvreté en prospérité.
La crise burundaise n’est pas une fatalité : elle est managériale.
Elle peut être résolue, non par un nouveau décret ni par un discours musclé ou flatteur, mais par le retour à l’art oublié du leadership comme gestion.
Si nos dirigeants choisissent la discipline, la délégation et la compétence, le Burundi pourra redevenir cette nation bien administrée, tournée vers l’avenir, que Bagaza avait commencé à construire et que les Burundais méritent encore aujourd’hui.
