Burundi : des milliards de dollars bloqués, un État qui patine

Le Burundi continue d’osciller entre improvisation et une posture réactive, sans ancrer ses décisions dans une stratégie claire et cohérente. Pourquoi par exemple ne pas faire preuve de courage et revisiter les précédents technocratiques que le président Bagaza avait construits avec des résultats extraordinaires au cours de ses 10 ans au pouvoir? Le Burundi ne manque ni d’argent, ni de talents, il manque de la rigueur et du sérieux.

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24.10.2025
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Economie

Quand les lenteurs dans le décaissement des financements extérieurs révèlent un malaise plus profond au cœur de l’administration burundaise.

Des milliards de francs burundais dorment sur les comptes des bailleurs. Les projets existent, les financements sont disponibles, mais le pays n’arrive pas à les absorber. Selon les chiffres officiels, à peine un cinquième des fonds alloués sont effectivement décaissés. Autrement dit, pour chaque 10 dollars promis au Burundi, seuls deux parviennent réellement à financer les écoles, routes ou hôpitaux prévus.

Il est inconcevable qu’un pays dont le budget national peine à atteindre 3 milliards de dollars par an, et qui reçoit près de 2 milliards de dollars de financements partenaires, n’ait absorbé que 21,4 %, laissant plus de 1,5 milliard de dollars inutilisés. C’est l’équivalent d’un pauvre qui parvient à convaincre les banques de lui accorder un prêt, mais ne parvient à utiliser qu’une fraction de l’argent déposé sur son compte.

Ce blocage, pudiquement qualifié de « faible capacité d’absorption », cache une crise beaucoup plus grave : celle d’un appareil administratif en panne de rigueur, miné par la politisation et dépourvu d’un leadership exigeant.

Des fonctionnaires démotivés… ou un système défaillant ?

Le président Évariste Ndayishimiye, dans ses discours, aime rappeler qu’il lutte contre la paresse administrative.

« Nos fonctionnaires sont paresseux », répète-t-il souvent, pour expliquer le manque de progrès.

Mais blâmer les fonctionnaires ne suffit pas à résoudre les problèmes plus profonds. Il est vrai qu’une partie de la fonction publique est démotivée, mal payée et peu outillée. Toutefois, le chef de l’État ignore les causes structurelles plus sérieuses : un système administratif désorganisé, une bureaucratie étouffante, et une absence criante de responsabilité et de suivi.

Même les cadres compétents se découragent, faute de moyens et de clarté dans la prise de décision. Beaucoup finissent par rejoindre les ONG ou les institutions internationales, où leurs compétences sont mieux reconnues. Ce n’est donc pas la « paresse » qui explique tout, mais un système défaillant où l’efficacité n’est ni valorisée ni récompensée.

Des experts remplacés par des militants

Depuis des années, la compétence n’est plus le principal critère de nomination. Le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, distribue les postes en fonction de la loyauté politique. Dans des secteurs où il faudrait des économistes, ingénieurs ou planificateurs aguerris, on retrouve des militants dont le principal mérite est d’avoir « le bon carnet d’adresses ».

Ce clientélisme mine la performance publique. Les bailleurs le savent : les projets échouent non pas faute d’argent, mais faute d’équipes capables de les gérer avec professionnalisme.

Pourtant, l’expertise se cherche partout, même chez les étrangers. Les pays qui réussissent n’hésitent pas à recruter les meilleurs talents, quelle que soit leur origine, pour réformer leurs institutions et renforcer leur gouvernance.
Ainsi, le Royaume-Uni a par exemple recruté un Canadien, Mark Carney, pour diriger sa Banque Centrale, après qu’il eut dirigé la Banque du Canada et avant de devenir le Premier Ministre du Canada. Plusieurs villes et États, en Afrique comme en Asie, engagent également des experts étrangers pour moderniser leurs administrations.

Même le Burundi, jadis, avait eu cette audace : le premier commissaire général de l’Office Burundais des Recettes (OBR) fut un Irlandais, Kieran Holmes, recruté pour sa compétence internationale.

Dès lors, comment expliquer que des professeurs éminents comme Léonce Ndikumana, économiste reconnu mondialement et fin connaisseur des réalités économques burundaises, ne soient pas sollicités pour guider et présider l’action économique du gouvernement ? Dans un pays où chaque franc compte, un tel gaspillage de compétence est tout simplement incompréhensible.

Instabilité, perte de vision et pilotage stratégique

Le Burundi souffre d’une instabilité chronique à la tête de ses ministères clés. Depuis cinq ans, le président Ndayishimiye a procédé à plusieurs remaniements majeurs : le ministère des Finances, de la Planification et du Développement économique a déjà connu trois titulaires différents. Ces rotations incessantes aux postes clés empêchent toute vision à long terme et désorientent les partenaires financiers.

Autrefois, le ministère de la Planification (Minstère du Plan) jouait un rôle pivot. Ses cadres permanents maîtrisaient la vision nationale, les priorités de développement et les grands équilibres macroéconomiques. Le changement de ministre n’affectait pas la direction stratégique de l’État. Aujourd’hui, cette fonction vitale s’est diluée, fragilisant la continuité et la cohérence des politiques publiques. Car, chaque nouveau ministre arrive avec ses propres idées sur ce qui doit être fait. Et dans leur empressement à impressionner le boss (le Président), ils imposent de nouvelles orientations dans leurs ministères de tutelle, souvent sans vision claire des priorités nationales. Cela crée une cacophonie en matière de planification et de vision à long terme.

Certes, centraliser la coordination n’est pas toujours la meilleure solution : dans de vastes pays ou pour des projets complexes, la décentralisation peut être un atout. Mais dans un petit pays comme le Burundi, avec une économie modeste et infrastructures embryonnaires, définir clairement les priorités, piloter leur exécution et garantir la continuité stratégique est vital pour le progrès.

Une solution réaliste serait d’intégrer la planification stratégique au sein de l’Agence de Développement du Burundi (ADB), et rattacher cette agence irectement à la Présidence. Cela garantirait la continuité de la vision à long terme et un suivi constant des projets structurants, indépendamment des changements ministériels ( sur aumoins les 7 ans de mandat présidentiel) . Il ne s’agit pas de tout centraliser, mais de piloter intelligemment : définir les priorités, suivre leur exécution, évaluer les résultats et rendre des comptes publiquement.

Le Burundi pourrait aussi s’inspirer des exemples de pays comparables : l’île Maurice, le Botswana ou le Rwanda ont démontré qu’un pilotage stratégique solide, associé à une administration stable, est la clé pour transformer efficacement les ressources limitées en développement concret.

Pourquoi ne pas copier où ça marche ?

Le Burundi n’a donc pas besoin de réinventer la roue. Des pays comparables ont su bâtir des administrations performantes avec des moyens limités.
L’île Maurice s’est hissée parmi les économies les mieux gérées d’Afrique grâce à la planification, la stabilité institutionnelle et la promotion du mérite.
Le Botswana a longtemps été cité comme modèle de gestion rigoureuse et de bonne gouvernance.
Et le Rwanda, juste à côté, prouve qu’un petit État peut faire beaucoup quand la discipline administrative et la reddition de comptes sont érigées en principes.

Le Burundi, lui, continue d’osciller entre improvisation et une posture réactive, sans ancrer ses décisions dans une stratégie claire et cohérente. Pourquoi par exemple ne pas faire preuve de courage et revisiter les précédents technocratiques que le président Bagaza avait construits avec des résultats extraordinaires au cours de ses 10 ans au pouvoir?

Un sursaut de leadership s’impose

Tant que les financements resteront bloqués, ce sont les citoyens qui en paieront : routes inachevées, hôpitaux sans matériel, jeunes sans emploi. La lutte contre la corruption commence par la discipline dans l’exécution. Le président aime dire qu’il veut un Burundi « travailleur » ; il doit maintenant le prouver en exigeant des résultats et des comptes à son administration.

Pourquoi le président ne peut-il pas par exemple exiger: 

La création d'une cellule nationale de pilotage et de suivi des projets financés par les bailleurs ; un processus de recrutement sur base de compétence, et non d’allégeance politique et la restaurer de la fonction de planification stratégique au cœur de l’État ?l’administration.

Bref, le Burundi ne manque pas de financements. Il ne manque pas non plus de talents. Ce qui fait défaut, c’est le sérieux dans la gestion publique : la constance, la compétence et la redevabilité.

Tant que les nominations politiques primeront sur le mérite, tant que les experts resteront à l’écart, tant que les ministres changeront plus souvent que les priorités nationales, le Burundi continuera de patiner — non pas faute de moyens, mais faute de volonté.

Le Burundi ne manque ni d’argent, ni de talents, il manque de la rigueur et du sérieux.

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