Les troubles post-électoraux en Tanzanie : un séisme qui devrait inquiéter le CNDD-FDD au Burundi
Longtemps considérée comme un modèle de stabilité, la Tanzanie révèle aujourd’hui les limites de l’ordre autoritaire — un avertissement que son protégé burundais, le CNDD-FDD, devrait prendre au sérieux.
Pendant des décennies, la Tanzanie s’est distinguée de ses voisins d’Afrique de l’Est, souvent secoués par des crises politiques. Tandis que l’Ouganda, le Kenya et le Burundi ont connu des élections contestées et des transitions violentes, le Chama Cha Mapinduzi (CCM) semblait inébranlable — la main ferme d’un pays stable au cœur d’une région agitée.
Ce calme est désormais rompu. Les troubles post-électoraux récents marquent un tournant historique pour un pays dont la vie politique était synonyme de prévisibilité. Ce qui n’était au départ qu’un mécontentement localisé est devenu une contestation nationale de la légitimité du CCM — et, par extension, du modèle de gouvernance qu’il a exporté à ses alliés.
Pour le Conseil National pour la Défense de la Démocratie–Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) au Burundi, qui s’est largement inspiré de la méthode tanzanienne, cet épisode devrait sonner comme un signal d’alarme. La crise tanzanienne dépasse ses frontières : elle met à nu la fragilité des systèmes fondés sur la peur, la domination et l’exclusion politique.
Un ordre soigneusement encadré
Depuis l’indépendance, la Tanzanie a construit un modèle politique reposant sur la succession organisée et la stabilité contrôlée. L’héritage de Julius Nyerere fut une démocratie encadrée, dominée par un seul parti, où chaque président servait deux mandats avant de transmettre le pouvoir à un fidèle du CCM.
La rotation entre la Tanzanie continentale et Zanzibar — cette dernière fournissant systématiquement le vice-président — assurait un équilibre symbolique entre les deux entités. Les élections, loin d’être compétitives, tenaient lieu de rituel confirmant la suprématie du parti et préservant l’illusion d’une unité nationale.
Pendant des décennies, cette formule a semblé fonctionner. Le CCM fut célébré pour avoir épargné au pays les convulsions violentes qui secouaient ses voisins. Mais sous la surface d’un ordre bien huilé, le mécontentement s’est accumulé. La jeunesse nombreuse, le chômage croissant et la réduction de l’espace civique ont fini par fissurer ce consensus imposé. Ce qui paraissait être l’harmonie n’était en réalité qu’un long silence — aujourd’hui brisé.
Le protégé d’en face
De l’autre côté du lac Tanganyika, le CNDD-FDD burundais s’est révélé l’élève le plus assidu du CCM. Depuis son arrivée au pouvoir en 2005, il s’est inspiré du modèle tanzanien sur le plan idéologique et organisationnel.
Le CCM n’était pas seulement un voisin, mais aussi un mentor et parfois un protecteur. Le CNDD-FDD a repris sa structure centralisée, son discours d’unité et de patriotisme, ainsi que ses méthodes de contrôle — notamment l’usage de mouvements de jeunesse chargés de surveiller et d’intimider la population. En Tanzanie, les cellules locales du parti servaient d’yeux et d’oreilles de l’État ; au Burundi, ce rôle est tenu par les Imbonerakure, la jeunesse militante du CNDD-FDD, accusée par plusieurs organisations de défendre l’ordre établi par la peur.
Dans les deux pays, la logique est la même : la stabilité passe par le contrôle, et la dissidence est assimilée à une menace.
Quand le mentor vacille
Les troubles actuels en Tanzanie dépassent la simple frustration électorale. Ils traduisent une rupture profonde dans le contrat social entre dirigeants et dirigés. Les citoyens, longtemps résignés à échanger leurs libertés contre la paix et la prévisibilité, réclament désormais responsabilité et inclusion.
Cette évolution devrait inquiéter le CNDD-FDD. Le régime burundais s’appuie sur les mêmes instruments que son mentor : la peur, la répression et la surveillance. Mais la leçon tanzanienne est claire : même les systèmes les mieux verrouillés peuvent s’effondrer lorsque la population cesse d’avoir peur.
Autrement dit, la répression fonctionne — jusqu’au jour où elle ne fonctionne plus.
Le mythe de la stabilité autoritaire
Pendant des années, la Tanzanie a servi d’exemple à ceux qui croyaient qu’un autoritarisme « bienveillant » pouvait garantir la stabilité. Cette illusion vient de s’effondrer. Les événements récents montrent que la stabilité autoritaire n’est souvent qu’une instabilité différée — un équilibre fragile maintenu par la contrainte plutôt que par le consentement.
Le Burundi connaît la même illusion. Le pays est dirigé par un parti qui se confond avec l’État, soutenu par une jeunesse partisane et miné par la corruption et la pauvreté. Comme en Tanzanie, le pouvoir a confondu le silence avec la loyauté, et le contrôle avec la légitimité.
Pourtant, le mécontentement gronde. Le chômage des jeunes reste massif, les libertés civiles sont restreintes, et l’accès aux opportunités dépend de l’allégeance politique. Les conditions qui ont poussé les Tanzaniens à descendre dans la rue sont réunies au Burundi — parfois de façon encore plus aiguë.
Un avertissement et une opportunité
Pour le CNDD-FDD, la crise tanzanienne est à la fois un avertissement et une opportunité. L’avertissement : un pouvoir fondé sur la peur et la surveillance finit toujours par atteindre sa limite. L’opportunité : réformer avant la rupture.
Le Burundi pourrait choisir d’apprendre des erreurs de son grand frère : rouvrir l’espace politique, restaurer les libertés publiques et renouer avec ses citoyens. Ces réformes ne seraient pas un signe de faiblesse, mais de lucidité. Reste à savoir si le régime saura le comprendre avant qu’il ne soit trop tard.
Une remise en question régionale
La crise tanzanienne s’inscrit dans une dynamique continentale plus large. Partout en Afrique, les partis issus des luttes de libération — CCM en Tanzanie, CNDD-FDD au Burundi, ANC en Afrique du Sud, ZANU-PF au Zimbabwe — peinent à s’adapter à des sociétés qui ne confondent plus libération et légitimité.
Les nouvelles générations, plus éduquées, plus connectées, refusent le paternalisme politique. Elles réclament la redevabilité plutôt que les slogans, les opportunités plutôt que la loyauté.
Pour le Burundi, ce changement de mentalité constitue un défi existentiel. Si le « grand frère » d’Afrique de l’Est peut être ébranlé par la colère populaire, qu’en sera-t-il d’un régime plus petit, plus pauvre et plus répressif ?
Le message de Dodoma à Bujumbura
La crise tanzanienne dépasse les frontières nationales : elle adresse un message à tous les dirigeants de la région. Le pouvoir fondé sur la peur a ses limites. La patience des peuples n’est pas infinie.
Pour le CNDD-FDD, la leçon est limpide : les instruments qui maintiennent aujourd’hui votre domination sont les mêmes qui, demain, pourraient précipiter votre chute. Ce qui ébranle Dodoma aujourd’hui pourrait bien, tôt ou tard, ébranler Bujumbura.
