Burundi dans l'ombre de Kinshasa: oublié dans la paix et piégé dans la guerre
Alors que ses soldats meurent dans les collines de l’Est congolais, le Burundi est absent des tables où se négocie la paix. Un pays sacrifié comme force d’appoint, payé en silence, oublié en diplomatie. L’aventure congolaise illustre une vérité brutale : quand on troque la neutralité contre la rente, on s’exclut soi‑même de l’Histoire.
Le Burundi s’enlise dans une guerre qui ne lui apporte rien. Ses soldats combattent et meurent dans l’Est congolais, mais aux conférences de paix de Doha ou de Washington, son nom n’apparaît jamais. Les acteurs régionaux discutent, les grandes puissances négocient, mais Gitega est invisible. Voilà le paradoxe : présent sur le champ de bataille, absent sur la scène diplomatique. Le Burundi continue de payer un prix fort en hommes et en ressources pour soutenir les FARDC. Pourtant, dans les processus de paix (Doha, Washington), les acteurs visibles sont Kinshasa, Kigali, les puissances extérieures (États-Unis, Qatar, UE) et, parfois, l’Angola comme médiateur. Le fait que les sacrifices burundais ne soient même pas mentionnés montre bien que Bujumbura n’a pas transformé son engagement militaire en influence politique
L'abscence des projecteurs diplomatiques sur le rôle du Burundi dans la crise est‑congolaise contraste violemment avec l’intensité du sacrifice militaire consenti. Depuis 2023–2024, des contingents burundais ont été déployés aux côtés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour contrer la progression du M23. Mais si les armes ont permis une visibilité tactique sur le terrain, elles n’ont pas donné au Burundi l’influence politique et diplomatique attendue : à Doha, à Washington ou dans les autres formats de négociation, Bujumbura n’apparaît quasiment nulle part. Cette analyse cherche à comprendre pourquoi l’engagement burundais a produit une marginalisation diplomatique et à en tirer les conséquences économiques, politiques et sociales pour le pays.
Une stratégie d’engagement qui a sacrifié la neutralité
La diplomatie des petits États repose souvent sur la capacité à manier la neutralité : elle permet d’être médiateur, interlocuteur utile et recevable par plusieurs camps. Le Burundi, en acceptant un rôle bilatéral proche de Kinshasa — et, selon plusieurs récits, conditionné par des accords secrets — a troqué cette ressource stratégique contre une posture d’appoint.
Ce choix s’explique en partie par des impératifs internes (besoin de devises, logique de sécurité régionale) et externes (dynamique d’alliance face à une menace perçue). Mais il comporte un coût : en devenant supplétif payé, le Burundi a renoncé à revendiquer un statut de garant ou d’arbitre dans les négociations de paix. Résultat : présent sur le terrain, absent dans la salle de négociation.
L’opacité financière : mécanique et indices
Deux éléments caractérisent la finance entourant cette intervention : des montants potentiellement élevés et une traçabilité défaillante:
- Les montants rapportés et leur plausibilité
Des médias indépendants évoquent des montants nominaux très supérieurs aux barèmes internationaux observés lors d’opérations multilatérales. Là où le barème d’anciens contingents africains en mission multilatérale (AMISOM notamment) représentait quelques centaines de dollars par soldat et par mois, des sources évoquent des paiements de l’ordre de plusieurs milliers de dollars mensuels par combattant pour l’engagement en RDC. Si ces chiffres s’avéraient exacts, ils expliqueraient l’afflux massif de devises constaté hors circuits officiels.
- Les voies de circulation
Loin de transiter par des mécanismes budgétaires transparents (ministère des Finances, inscription à la loi de finances, contrôles parlementaires), ces flux semblent, d’après les indices disponibles, alimenter des circuits parallèles : redevances, comptes privés, réseaux d’intermédiaires. L’absence d’écritures publiques et d’audits indépendants transforme ces recettes en source d’enrichissement discrète.
- Indicateurs macroéconomiques suspects
Plusieurs anomalies macroéconomiques concourent à corroborer l’existence d’entrées non déclarées : amélioration sporadique du compte courant, hausse des « revenus non fiscaux » dans la comptabilité publique, augmentation notable de certaines rubriques budgétaires sans contrepartie claire en investissements publics. Parallèlement, les réserves de change restent faibles, ce qui tranche avec l’idée d’un afflux massif et soutenu de devises s’il devait transiter par des canaux officiels.
Conséquences économiques : inflation, inégalités, distorsions
L’entrée de devises en dehors des circuits institutionnels déclenche plusieurs effets pervers :
- Pression inflationniste locale : des revenus injectés dans l’économie sans gains de productivité font monter les prix — affectant les ménages pauvres.
- Renforcement d’une économie de rente : sélection d’activités non productives (construction ostentatoire, importations de biens de prestige) plutôt que d’investissements structurants (éducation, santé, infrastructures).
- Accroissement des inégalités : une minorité profite, la majorité subit la dégradation des services publics.
À l’échelle d’un pays pauvre où l’accès aux devises est critique, ces dynamiques peuvent déstabiliser durablement la structure économique.
Effets politiques internes : légitimité, cohésion et risques de crise
L’opacité nourrit le ressentiment social et militaire.
- Entre l’armée et l’État : des soldats qui meurent sans indemnités transparentes ou funérailles dignes sont une bombe sociale. Le récit selon lequel des fortunes se construisent pendant que des frères d’armes sont sacrifiés alimente la défiance.
- Au sein du régime : la concentration des gains crée des clientèles. Les circuits opaques permettent à certains officiers et acteurs civils proches du pouvoir d’accumuler des ressources indépendantes du budget — ce qui fragilise la discipline et la subordination institutionnelle.
- Pour la légitimité gouvernementale : le gouvernement risque d’être perçu comme favorisant une minorité au détriment du bien public — un argument facile pour l’opposition et les mouvements sociaux.
Impacts diplomatiques et stratégiques : l’oubli de la paix
En diplomatie, l’efficacité militaire ne se convertit pas automatiquement en influence politique. Le Burundi paie son engagement mais n’est pas invité comme acteur clef aux tables de négociation. Plusieurs facteurs l’expliquent :
- Le cadre bilatéral et secret de l’engagement rend le pays suspect aux yeux des autres acteurs régionaux et internationaux ; on préfère traiter directement avec Kinshasa et Kigali.
- L’absence de transparence disqualifie Bujumbura comme partenaire crédible pour les bailleurs et institutions multilatérales, qui conditionnent souvent la coopération à la gouvernance et au contrôle des fonds.
- Le profil réduit et instrumental de la participation burundaise empêche toute revendication morale ou diplomatique forte : le rôle perçu est celui d’un exécutant, non d’un acteur souverain.
Ce processus aboutit à une marginalisation qui pourrait durer : une fois les négociations entérinées sans lui, le Burundi risque de se retrouver sans levier pour défendre ses intérêts dans la phase post‑conflit. Pire encore, le Burundi risque d’être finalement classé parmi les forces négatives, ce qui entraînerait un isolement et une marginalisation accrus.
Le pari du court terme — obtenir des devises et une influence militaire immédiate — a placé le Burundi dans une situation dangereuse : il est, aujourd’hui, oublié dans la paix et piégé dans la guerre. La différence entre être un acteur de terrain et un acteur de la paix tient à la capacité à transformer l’effort militaire en crédibilité politique et en légitimité institutionnelle. Pour cela, la transparence n’est pas un luxe mais une condition de survie diplomatique et économique.
La sortie du piège exige courage politique et volonté de remise à plat : traiter publiquement les flux, réparer les torts sociaux, et reconstruire une diplomatie qui repose moins sur la rente et plus sur le droit et la responsabilité.
Le nouveau chef de la diplomatie, Édouard Bizimana, parviendra-t-il à convaincre le président Ndayishimiye de faire évoluer l’engagement du Burundi en RDC, d’une guerre principalement motivée par le gain financier vers une stratégie visant également à accroître l’influence régionale? Il est fort douteux que Bizimana puisse y réussir, car l’opération congolaise et ses flux financiers sont strictement contrôlés depuis le bureau du président, sans transparence ni délégation.
Didier Hakizimana
Sociologue, candidat au Doctorat