Evariste Ndayishimiye ferme les frontières entre le Burundi et le Rwanda: Une tentative désespérée pour sauver son pouvoir

« Ndayishimye comprend très bien que la situation économique catastrophique dans laquelle se trouve le pays fait de lui une cible facile pour un coup d’État. Peut-être alors pense-t-il que s’il parvient à sauver l’économie ou créer une situation chaotique et tensions entre son pays et le Rwanda, il renforcera son emprise sur le pouvoir. »

Par
Arthémon Masabo
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12.1.2024
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Politique

Après un discours très hostile de réveillon  accusant le Rwanda d'héberger RED-TABARA, un groupe rebelle qui combat le régime de Gitega, l'escalade de l'hostilité entre Gitega et Kigali ne faisait plus aucun doute.

 15 mois seulement après la réouverture des frontières entre ces deux petits pays d'Afrique de l'Est, par le biais de son ministre de l’intérieur, le Burundi vient de refermer toutes ses frontières terrestres avec le Rwanda. Selon l’annonce faite par Martin Ninteretse ce jeudi à la mi-journée, le Burundi ne veut plus du « mauvais voisinage de Paul Kagame », à qui Evariste Ndayishimiye accuse d’héberger les ennemis de son régime. Gitega promet aussi de procéder à l’expulsion de tous les Rwandais qui résident au Burundi. «Les ressortissants rwandais, nous n'en voulons pas», a ajouté le ministre Martin Niteretse.

 

RED-TABARA attaque le Burundi à partir de la RDC mais le Rwanda est indexé

Dans son message de vœux à la Nation le 31 décembre 2023, le chef de l'Etat burundais avait dit tout le mal qu'il pense de son homologue rwandais, Paul Kagame, qui selon toujours Gitega, soutient la rébellion burundaise dite RED-TABARA, officiellement basée à l'est de la RDC.

Selon le président burundais, le Rwanda offre un soutien logistique à ce mouvement pour lancer des attaques récurrentes contre son régime.

« Tant qu'ils auront un pays qui leur fournit des uniformes, les nourrit, les protège, les abrite, les entretient, nous aurons des problèmes », a martelé le général Evariste Ndayishimiye.

Considérées comme tribalo-terroristes génocidaires par le régime de feu président Buyoya quand elles étaient encore dans le maquis, les autorités actuelles issues du CNDD-FDD considèrent à leur tour RED-Tabara comme un mouvement terroriste.

Bien que le Red-Tabara attaque le Burundi à partir de l’est de la RDC, le pouvoir de Gitega accuse Kigali sans mention de la RDC qui sert de base arrière pour cette rébellion.

Bien plus, la naissance de RED- TABARA ne date pas de 2015 comme le prétendent Ndayishimiye et ses ministres. Déjà en 2011, Pauline SIMONET et Julien SAUVAGET, deux journalistes de France 24 découvraient dans les montagnes du Sud Kivu, le FRONABU-TABARA, une nouvelle rebellion qui deviendra plus tard RED-TABARA. C’est d'ailleurs du Sud Kivu que Gitega combat par son armée et la milice Imbonerakure, depuis de nombreuses années ce mouvement rebelle. Il n'est secret pour personne que pendant des années, Gitega avait fait des incursions militaires en connivence avec Kinshasa à l’Est de la RDC pour traquer les groupes rebelles qui lui sont hostiles.

Selon des sources internes au CNDD-FDD, ces accusations contre Kigali auraient été montées pour se créer une «couverture» et une justification pour la présence de son armée au Nord Kivu, aux frontières entre la RDC et le Rwanda. Les preuves de son engagement aux combats contre le M23 qui ont circulé sur les réseaux sociaux récemment ( corps de militaires burundais tués au champ de bataille, vidéos de militaires capturés par les combatants du M23, etc..), aux cotés des FDLR est une autre raison qui pousse Gitega à vouloir créer un prétexte pour cette présence aux frontières Rwandaises et alliance avec les ennemis de Kigali, les FDLR.    

Très récemment et selon l’ONU, à côté des FARDC et FDLR, des militaires burundais ont été signalés en bataille rangée contre le M23 en RDC. Dans son nouveau rapport sur l'état de la violence en RDC, l'ONU avait déclaré en effet sans ambages que « l'armée congolaise a renforcé son utilisation de groupes armés comme les FDLR (forces démocratiques pour la libération du Rwanda, les milices Wazalendo (« vrais patriotes ») mais aussi des soldats burundais » pour tenter de mettre hors d'état de nuire les rebelles du M23.

 

Gitega met tous ses œufs dans le panier de Kinshasa : L’armée Burundaise rejoint la liste des mercenaires employés par la RDC

Acculé par une rébellion férocement aguerrie, Kinshasa avait fait recours aux mercenaires Est-Européens. Des anciens de l'Armée Rouge.

Agemira est l’une des compagnies qui fournissent des mercenaires à Kinshasa. De droit Bulgare avec offices à Sofia, elle avait créé une entité locale en RDC dénommée Agemira RDC pour bien servir Kinshasa. A sa tête se trouve un Français du nom d'Olivier Bazin. Connu sous le nom de "colonel Mario", cet homme d'affaires est depuis plus de trente ans un courtier en équipements militaires. Il est actif surtout dans les pays francophones d'Afrique. Il aurait rendu ses services au Tchad, à la Côte d’Ivoire, à l'Angola et au Congo voisin de la RDC.

L’intervention de Colonel Mario et ses hommes devait faire pencher la balance de la guerre en faveur de Kinshasa. Sa mission principale étant la remise en état et la maintenance des aéronefs acquis par la force aérienne congolaise pendant les années de Mobutu. Agemira avait déployé une équipe de techniciens dont la plupart sont de nationalité biélorusse et géorgienne. Des anciens de l'armée soviétique.

Malgré cette présence des mercenaires européens, le M23 continuait à faire encaisser des échecs aux FARDC dont la volonté et motivation de faire la guerre sont toujours remises en question.

Ayant compris qu'il ne pouvait pas gagner la guerre avec une armée qui ne veut pas se battre, ayant constaté les limites du recours aux mercenaires européens, Kinshasa s'est tourné vers le Burundi, pays voisin dont l'armée est l'une des plus aguerries de la région.

Tout en autorisant la Communauté d'Afrique de l'Est à envoyer des troupes de maintien de la paix, Félix Tshisekedi de la RDC avait parallèlement conclu un accord bilatéral avec Evariste Ndayishimiye du Burundi, qui paradoxalement était le président en exercice de l'EAC qui devait autoriser le déploiement des forces de maintien de la paix à l'Est de la RDC. 

Malgré les évidences, en l'occurrence ses nombreuses victimes dans les rangs de l'armée, ou des centaines de militaires, toutes catégories confondues, qui ont refusé de se laisser canarder comme des mouches sous le drapeau congolais, le Burundi avait obstinément refusé de commenter publiquement sur la présence de son armée en RDC.

Finalement le 30 décembre de 2023, le chef de l'État burundais avait assumé son soutien à la RDC dans sa guerre contre le M23. « Le feu qui brûle la RDC est le même qui peut brûler le Burundi demain....j'appelle par conséquent tous les Burundais à soutenir la RDC dans son combat contre les rebelles du M23 »  disait-il lors d'une émission publique, diffusée par la radio et la télévision d'état.

Pour des raisons idéologiques, selon certains observateurs ou pour essayer de gagner quelques millions de dollars pour alléger une situation économique désastreuse, qui risque de causer sa chute du pouvoir, Evariste Ndayishimiye a choisi de se ranger maladroitement du côté de Kinshasa. 

L'armée burundaise au Nord Kivu, rangée aux côtés des FDLR, ennemis jurés de Kigali : Une provocation contre Kigali

Contrairement aux récentes sorties médiatiques de Gitega contre Kigali qui s'intensifient depuis le 30 décembre de l'année qui vient de s’écouler, Kigali n’a jusqu’ici fait de commentaires officiels sur le déploiement de l’armée Burundaise dans son « back yard ».

Gitega n’aurait même pas officiellement informé Kigali de la fermeture des frontières. Kigali dit avoir appris cette fermeture par les médias. 

« Le gouvernement du Rwanda a appris par les médias la décision unilatérale du gouvernement du Burundi de fermer à nouveau ses frontières avec le Rwanda.

Cette malheureuse décision restreindra la libre circulation des personnes et des biens entre les deux pays et violera les principes de coopération régionale et d'intégration de la Communauté d'Afrique de l'Est.» avait immédiatement réagi Kigali après l'annonce de fermeture des frontières par Gitega.

Communiqué de Kigali dénonçant la fermeture des frontières burundaises par Gitega

Face à une grave crise économique, il se dit que Gitega aurait conclu un accord pour vendre les services de son armée à Kinshasa en échange des millions de dollars dont le pays a besoin pour acheter des produits de première nécessité comme du pétrole et des médicaments. Une situation désespérée qui aurait donc poussé Gitega à prendre une décision imprudente? Rien n'est sûr.

Le Burundi est plongé depuis 2015 dans une crise économique caractérisée par un manque criant de réserves en devises. Les pompes à essence sont continuellement à sec, les pharmacies sont souvent vides et la vie devient de plus en plus insupportable pour la plupart des Burundais.

« Comment un pays au bord de la faillite peut-il se permettre de provoquer des tensions qui risquent de mener à une guerre en sachant pertinemment que si une guerre éclate, le rapport de forces économiques est très important? Compter sur la RDC pour injecter des millions de dollars dans les caisses du Burundi si la situation dégénère entre Kigali et Gitega pourrait être la décision la plus risquée et la plus imprudente que le régime de Gitega n’ait jamais prise », commente un politologue qui a souhaité garder l'anonymat.

« La fermeture des frontières avec le Rwanda rendra sans aucun doute les échanges commerciaux plus difficiles. Le flux d’argent des Rwandais qui s’approvisionnent en produits divers au Burundi s’arrêtera, ce qui aggravera davantage une situation économique déjà catastrophique. Si la situation dégénère en usage de force comme semble le craindre l'ONU, elle trouvera un pays déjà dévasté, incapable de nourrir et payer son armée, sans parler de se procurer des munitions et du carburant pour déplacer ses combattants …stratégiquement, cette escalade de tension qu'orchestre Gitega est une grosse absurdité qui n’a aucun sens sur les plans militaire, politique et économique. » commente un ancien haut grade de l’armée Burundaise.

 

Sauver l’économie ou sauver son emprise sur le pouvoir? 

Alors que l'attention du monde est détournée vers la guerre au Moyen-Orient et en Ukraine, Evariste Ndayishimiye risque de conduire son pays dans un conflit armé ouvert avec son voisin du nord.

 Ses motivations sont remises en question. Il est bien connu qu'il existe au sein de cercles des forces internes d'anciens rebelles au pouvoir qui veulent le renverser, l'accusant d'incompétence notoire. Ces derniers mois, il a fréquemment et publiquement dénoncé ceux qui fomentaient un coup d’État contre lui. Son ancien premier ministre, Alain Guillaume Bunyoni, est actuellement en prison, accusé entre autres d'avoir fomenté un coup d'État contre le président.

« Ndayishimye comprend très bien que la situation économique catastrophique dans laquelle se trouve le pays fait de lui une cible facile pour un coup d’État. Peut-être alors pense-t-il que s’il parvient à sauver l’économie ou créer une situation chaotique et tensions entre son pays et le Rwanda, il renforcera son emprise sur le pouvoir. », une stratégie risquée, affirme un professeur d'une des universités de Bujumbura.

La principale question est de savoir s’il essaie de sauver l’économie ou de se sauver lui-même. La réponse deviendra sans doute de plus en plus claire au fil des jours.

C'est sans doute révélateur que même le chef du parti au pouvoir, Révérien Ndikuriyo, habituellement sulfureux, ait plaidé lors de sa récente conférence publique en faveur du dialogue entre Gitega et Kigali. Cela contrastait avec le discours belliciste prononcé quelques jours plus tôt par le président. Un signe certain, disent certains, de tensions internes et de conflits au sein du parti au pouvoir.

«En tentant d'éviter un coup d'État et de solidifier son emprise sur le pouvoir, Evariste Ndayishimiye risque de précipiter sa chute en créant une situation qui donne des prétextes à ses ennemis internes de monter un coup d'Etat et de détruire par la même occasion le pays», conclut un activiste des droits de l'homme.

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Arthémon Masabo

Ayant fui le Burundi dans les années 1980, Arthemon Masabo continue d'observer de près la politique de son pays natal. Il est retourné au Burundi en 2007 avant de repartir, déçu par le manque de vision politique des élites d'un parti avec lequel il avait sympathisé pendant son exil.