La tyrannie et l'absence d'état de droit sont la principale cause de pauvreté

Dans les dictatures, toute opposition aux politiques, aux points de vue ou aux opinions de l'exécutif est considérée comme une opposition à l'État. L'État de droit incarné par le pouvoir judiciaire est considéré par les dictateurs comme un outil de répression contre toute contestation, légitime ou non, à leur autorité absolue. Ils agissent souvent comme s'ils étaient au-dessus des lois. Les régimes dictatoriaux ont peu de considération pour le respect de l'état de droit, surtout lorsqu'il limite la portée de leur pouvoir.

Par
Audace Mbazumutima
on
15.4.2023
Categorie:
Opinion

Selon le journal Iwacu, Evariste Ndayishimiye, le président de la République, a déclaré lors d'une récente retraite de jeunes intellectuels burundais que «c’est regrettable qu’il y ait des jeunes qui partent en formation à l’étranger et qui ne rentrent pas au pays.»

Les professeurs d’université interrogés, selon ce même journal ont affirmé que cette fuite de cerveaux est due à la pauvreté qui ravage le pays depuis de décennies.

Bien que ses manifestations varient d'un pays à l'autre, la pauvreté est un problème multidimensionnel qui ne peut être lié à une seule cause. Il n'y aucun doute que ces professeurs le savent aussi.

Lors de cette grande messe avec les jeunes intellectuels du pays, le président de la république et les participants semblent avoir évoqué toutes sortes de problèmes, mais ont négligé de faire face au plus grand éléphant dans la salle burundaise: l'absence d'État de droit.

Le respect de l'État de droit par tous les citoyens, mais principalement par l'Etat ( comprenez ici, ceux qui gèrent les affaires de l'État), est la clé de la vie prospère de tout État. Les Burundais vivent la tyrannie sous ses formes variées depuis l'indépendance. Cependant, ils n'ont jamais vécu (en dehors des périodes de guerres) un désordre aussi généralisé et de non-respect de l'état de droit comme c'est le cas aujourd'hui.

La primauté du droit est étroitement liée à la notion de développement en ce qu'elle garantit le respect des droits de propriété, le respect et l'exécution équitable des contrats ainsi la réduction de la corruption et criminalité.

La primauté du droit est également d'une importance fondamentale pour la réduction du risque d'investissement. Le respect de la loi promeut la sécurité et la stabilité qui contribuent à favoriser la croissance économique. L'etat de droit empêche l'État de s'ingérer dans et/ou d'influencer négativement les efforts créatifs des citoyens et, surtout, il empêche l'État et ceux qui gèrent les affaires de l'État de s'approprier ou de confisquer illégalement ou arbitrairement la richesse créée par les citoyens.

L'Etat, sous toutes ses formes (libérale ou dictature), sait toujours se protéger contre la violence de ses citoyens. Après tout, l'État est la seule entité qui peut légalement utiliser la force pour réprimer toute révolte susceptible de déstabiliser une nation. Alors que les notions d'État et d'administration exécutive (chargée d'administrer les affaires de l'État à un moment donné) sont toujours ou presque toujours distinctes dans les démocraties libérales, les dictatures ont tendance à se substituer à l'État.

Dans les dictatures, toute opposition aux politiques, aux points de vue ou aux opinions de l'exécutif est considérée comme une opposition à l'État. L'État de droit incarné par le pouvoir judiciaire est considéré par les dictateurs comme un outil de répression contre toute contestation, légitime ou non, à leur autorité absolue. Ils agissent souvent comme s'ils étaient au-dessus des lois. Les régimes dictatoriaux ont peu de considération pour le respect de l'état de droit, surtout lorsqu'il limite la portée de leur pouvoir.

Ainsi, alors que le Burundi est en train de chercher des solutions à ses problèmes, la notion d'État de droit est rarement mentionnée, alors qu'elle joue un rôle central, non seulement en matière de gouvernance mais dans tous les aspects d'un État sain.


Il ne peut jamais y avoir de développement sans règles claires par lesquelles tout le monde (ou presque tout le monde) joue


Evariste Ndayishimiye, le nouveau président élu, se plaignait de la fuite des cerveaux lors de cette retraite avec la jeunesse du pays. S'il semble voir ce problème comme une sorte de manque de patriotisme, ce serait une simplification banale que de présenter cette fuite de cerveaux comme un manque de patriotisme.

Les individus très instruits sont très recherchés partout dans le monde qu'ils ne toléreront pas la vie dans un environnement injuste,  répressif et hostile aux règles de fair play. La prévisibilité et stabilité sont une considération de survie qui est d'un capital important pour ces personnes très instruites. La meilleure façon de garantir la prévisibilité dans la vie est d'établir des règles du jeu claires, par lesquelles tout le monde, ou presque tout le monde joue. Ainsi, tout le monde est au fait avec les conséquences de jouer en dehors de ces règles et surtout, tout le monde sait que leur propriété, leur innovation, leurs droits, leurs rêves, leur sécurité et sûreté sont garantis par ces règles auxquelles tout le monde , l'Etat inclus, doit jouer.

Dans un État de droit, chaque citoyen sait que ce strict respect de la loi le protège contre les caprices ou les actes de prédation de son voisin, mais surtout qu'il le protège contre les caprices, la négligence et / ou la tyrannie de l'État.

Le président Evariste Ndayishimye doit alors faire du rétablissement et respect de la loi sa priorité. L'Etat et les officiels de la branche exécutive doivent donner exemple et respectant les lois et en garantissant l'independance du pouvoir judiciaire.


Il ne peut y avoir de développement sans innovation


Les individus très innovants ont le luxe et la tendance de s'établir dans des environnements plus sécurisés. Ils ont horreur de l'instabilité, de l'iniquité, de l'arbitraire et surtout ils détestent toute attitude tyrannique de l'État.

Il n'est donc pas surprenant (le président en est, espérons-le, conscient) que les cerveaux qui ont fui le Burundi sont des hutus et des tutsis. Les hutus et les tutsis hautement éduqués semblent avoir opté pour mettre leur cerveau au service des pays qui les ont adoptés que de s'exposer aux pratiques prédatrices de la branche exécutive qui gère les affaires de leur pays. Au Burundi, il n'a jamais été question d'une instabilité causée par des tensions interethniques spontanées. Toutes les crises qui ont occasionnées de pertes en vies humaines ont toujours été provoquées sciemment par les autorités.

Il est assez surprenant qu'un régime qui se veut comme libérateur des hutus n'ait pas réussi à attirer les intellectuels hutus à venir servir son agenda, et dans le processus créer un environnement propice à l'innovation et à la créativité qui mèneraient à la prospérité et au développement du pays.

Militariser la branche exécutive a été un désastre absolu pour le Burundi. La seule administration exécutive militarisée qui a montré un vif intérêt à faire passer le cerveau avant les muscles et les armes était celle de feu Colonel Jean Baptiste Bagaza. Il a même recruté des experts étrangers (partout où le besoin s'en faisait sentir) pour travailler comme technocrates dans les départements d'État. Ce n'est pas pour rien qu'il est connu comme le bâtisseur du Burundi moderne.

Lorsque le président actuel se retrouve dans l'incapacité d'honorer l'exigence constitutionnelle selon laquelle tous les hauts dignitaires doivent déclarer leur patrimoine avant et après leur mandat à la tête du pays, il devient clair que le respect de l'Etat de droit est le cadet de ses soucis.

Se fier à une analyse simplifiée des causes de notre misère n'est rien d'autre qu'un signe de la légèreté avec laquelle les affaires de l'Etat burundais sont gérées depuis des décennies.

Les solutions ne viendront pas de slogans ou de rhétoriques populistes. Pour extraire le pays de l'enfer dans lequel il se trouve, il faut s'engager avec une rigueur intellectuelle et obtenir le concours de ces cerveaux qui ont fui le pays.

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