Un départ et une victoire qui doivent terrifier Gitega: Biden est-il une mauvaise nouvelle pour Evariste Ndayishimiye et ses amis?

D'entrée de jeu, il faut admettre que la nouvelle administration aura beaucoup de chats à fouetter et une litanie de situations désordonnées laissées derrière par Trump à résoudre. La crise burundaise est loin d'être résolue et elle est loin d’être une priorité pour les Etats Unis d’Amérique même sous l’administration de Biden. Mais d'emblée, il y a peut-être une raison d'espérer que les choses peuvent changer et que les crises résultant de mauvaises gouvernances et du non-respect des pratiques démocratiques de respect de l'État de droit et de droits humains attireront plus l'attention sous le président Biden qu'elles ne l'ont fait sous Trump.

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Burundi Daily
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15.11.2020
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Diplomatie

Alors qu'il continue de crier au scandale de ce qu'il dit être une fraude électorale contre lui, les résultats sont désormais clairs. Trump, le président américain qui a inventé le terme « pays de merde » pour désigner l'Afrique est totalement vaincu par un ancien de la politique américaine, Joe Biden.

Dans d'autres pays, seules les oppositions ont tendance à revendiquer une fraude électorale à leur encontre. Dans l'Amérique de Trump, les choses semblent se passer autrement.

Trump, sans être l'inventeur du populisme, l'a déployé avec des effets dévastateurs dans son pays d'origine et dans le monde entier. En 2016, il a vaincu Hilary Clinton, une ancienne main de la politique et diplomatie américaines simplement sur le dos de la révolte contre le statuquo et les slogans populistes qui semblaient capter la colère et le ressentiment qui bouillonnaient sous l'administration Obama-Biden.

L'absence totale d'intérêt, le mépris, le dédain et la haine pure et simple que le président sortant Donald a montré à l'égard de l'Afrique ont été une aubaine pour les dictateurs et les autocrates du continent noir, qui ont adopté certaines des signatures de Trump telles que « Fake News » et « Mon pays d'abord » pour écarter toute critique de la brutalité qu'ils infligent à leur peuple.


La notion de « communauté internationale » tant redoutée dans les sphères politico-diplomatiques sur la scène internationale a été totalement déconstruite par le président Trump qui l’a exposée pour une non-entité totale, et donc comme un concept vague qui n'avait pas de "vraie vie" en soi. L'Union africaine, l'ONU et dans une certaine mesure l'Union Européenne ont reculé et ont fait montre de leur impuissance sur la scène internationale en l'absence du leadership américain.

C’est dans ce contexte que les Africains ont été abandonnés pour faire face, seuls, à la brutalité que leur infligent les dirigeants despotiques.


Une crise burundaise victime de la « diplomatie America First »


En 2015, le Burundi a plongé dans une crise cauchemardesque créée par l'appétit de pouvoir de feu Pierre Nkurunziza. Alors que les efforts internationaux initiaux semblaient solides et décisifs, les changements à Washington ont sapé toutes les mesures qui avaient été prises par l'ONU et l'UA. Ainsi, Pierre Nkurunziza a bien foncé vers un 3eme mandat illégal, et a pu aller plus loin en instituant une nouvelle constitution qui abolit les accords d’Arusha.

Message du président Obama au peuple Burundais

L'administration Obama-Biden a montré un niveau d'engagement dans la résolution de la crise de 2015 qui était à la fois inhabituel et réconfortant pour ceux qui étaient brutalisés par la brutalité féroce de la police et de la milice de la jeunesse du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Le président Obama s'est même adressé directement au peuple burundais. Il a clairement indiqué dans son discours que les Burundais n'étaient pas seuls. Un signal fort donc de la part d’une administration américaine qui tenait à éviter le pire au Burundi.

Les envoyés du président Obama dans la région des Grands Lacs étaient résolument engagés dans la résolution de la crise. L'équipe américaine à l'ONU était également engagée et a fait tout ce qu'elle pouvait pour sauver les accords d'Arusha dont les États-Unis sont d’ailleurs l'un des garants.

Tom Malinowski, secrétaire d'État adjoint américain à la démocratie et aux droits de l'homme a été envoyé au Burundi peu après le début de la répression brutale contre les civils burundais et a clairement indiqué que les États-Unis étaient « déçus par la volonté du président Nkurunziza de violer l'Accord d’Arusha ». Il était également clair qu'il n'était pas trop tard pour un « solution démocratique et pacifique » à la crise.

Thomas Perriello, l’envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs en Afrique s'est également activement engagé. Il craignait que le Burundi « soit confronté à une possibilité réelle de guerre civile et génocide », mais a exprimé l'espoir qu'il y avait encore « une fenêtre, aussi petite soit-elle, pour lancer un processus de paix ». Ce processus de paix a été confiée à la Communauté de l'Afrique de l'Est qui a délégué Yoweli Kaguta Museve de l'Ouganda et Benjamin Mkapa de la Tanzanie pour diriger tous les pourparlers.

Dans les premiers jours de la crise, Samantha Power, l'ambassadrice américaine auprès de l'ONU, a été engagée et a montré une compréhension d'une crise qui allait avoir des conséquences catastrophiques sur la population civile si elle n'est pas traitée avec rapidité et fermeté.

Tout cet engagement international a presque cessé avec le début du processus électoral américain dont Trump est sorti victorieux. Tous ceux qui avaient été impliqués dans la résolution de la crise burundaise ont été remplacés par des personnes qui partageaient une vision de l'Afrique avec Trump : un « cas de merde » qui ne méritait pas l'attention des Etats Unis d’Amérique.

J. Peter Pham, un ancien président du Centre africain du think-tank conservateur Atlantic Council a été nommé au poste d'envoyé spécial des États-Unis dans la région des Grands Lacs en Afrique pour remplacer Tom Perriello.

Une fois nommé à ce poste, Peter Pham s’est mis à l’œuvre et a supervisé une volte-face diplomatique complète qui a mené à un rapprochement diplomatique entre le pouvoir CNDD-FDD et l’administration de Trump et qui a enterré tous les efforts des Etats Unis d’Amérique dans la résolution de la crise causée par ce même CNDD-FDD.

En moins d'un an, l'envoyé spécial américain pour les Grands Lacs, J. Peter Pham qui est devenu depuis mars, envoyé spécial des Etats Unis pour le Sahel, a tout fait pour sauver un régime dictatorial avec lequel il entretenait des liens personnels.

Le désengagement des Etats Unis d’Amérique dans la résolution de la crise burundaise témoigne du manque d’intérêt du président Trump dans presque toutes les affaires africaines.

Ce changement de fortune du régime de Gitega et surtout l'implication personnelle de Peter Pham dans l'opération de cette volte-face diplomatique des Etats Unis s’expliquent principalement par le fait que le secrétaire d'Etat Mike Pompeo avait laissé une très large latitude à Peter Pham sur ce « dossier Burundi ».

Or, cet envoyé des Etats Unis dans la région des grands lacs entretenait des liens personnels avec l’entourage du président Nkurunziza. Lorsqu'il présidait le Centre africain du think-tank conservateur Atlantic Council, Peter Pham a invité à plusieurs reprises dans des fora publics des responsables burundais, et notamment l'ex-ministre des affaires étrangères Alain Nyamitwe et son frère Willy Nyamitwe, qui fut conseiller spécial de feu Pierre Nkurunziza.  

En plus de ces liens personnels de Peter Pham avec les maitres de Bujumbura, feu Pierre Nkurunziza et sa femme Denise Bucumi avaient tissés des liens au sein de la communauté évangélique américaine. Ces relations avec la communauté évangélique ont aussi joué un rôle déterminant dans le retrait des Etats Unis d’Amérique du dossier de la crise burundaise.

L’administration de Joe Biden reprendra-t-elle la question Burundaise au sérieux ?

D'entrée de jeu, il faut admettre que la nouvelle administration aura beaucoup de chats à fouetter et une litanie de situations désordonnées laissées derrière par Trump à résoudre.  La crise burundaise est loin d'être résolue et elle est loin d’être une priorité pour les Etats Unis d’Amérique même sous l’administration de Biden.

Cependant, des crimes innommables continuent d'être commis par le régime de Gitega contre des civils innocents. Certains des acteurs les plus puissants au sein du pouvoir restent sous les sanctions de l'UE et des États-Unis. Une enquête du tribunal pénal international est en cours et l'ONU enquête toujours sur les crimes commis depuis 2015 à ce jour. Cette situation catastrophique prouvera sans doute très difficile à ignorer pour une administration qui veut restaurer le leadership moral américain sur la scène mondiale.

Une dose de réalisme cependant : alors que Trump a montré un désintérêt total pour les « pays de merde » comme le Burundi. Son départ ne signifie pas nécessairement un changement de cap avec la nouvelle administration Biden-Harris. Les intérêts américains continueront de primer sur toute autre considération.

Selon toute vraisemblance, il y a peut-être une raison d'espérer que les choses peuvent changer et que les crises résultant de mauvaises gouvernances et du non-respect des pratiques démocratiques de respect de l'État de droit et de droits humains attireront plus l'attention sous le président Biden qu'elles ne l'ont fait sous Trump.

Fondamentalement opposé au populisme qui a propulse Trump au pouvoir et qui engloutit les États-Unis et une grande partie du monde depuis le début du règne du président Trump, désireux de réparer le leadership international américain de longue date sur les questions des droits de l'homme et de démocratie dans le monde, désireux de montrer une opposition au « Trumpisme » qui semble avoir été adopté par des dictateurs et des despotes du monde entier, désireux de réparer le multilatéralisme international que Trump semblait tant détester; Biden est susceptible de s'engager dans des crises sur la scène internationale, y compris celles dans des pays avec moins de poids international comme le Burundi.

De plus, certaines personnalités engagées dans les premiers jours de la crise burundaise, comme Samantha Power et Susan Rice, devraient revenir dans les cercles de la diplomatie internationale américaine. Elles n'auront pas oublié l'arrogance de Gitega et auront sans doute suivi les informations faisant état de crimes atroces commis au Burundi en toute impunité.

Les défenseurs des droits humains qui ont été ignorés par l'administration Trump se réengageront probablement à nouveau dans leur travail de plaidoyer pour le respect de la vie humaine dans leurs pays. Leurs cris sont susceptibles de tomber sur des oreilles sympathiques au sein de l'administration Biden.

Il ne fait aucun doute que Gitega va réorganiser son jeu diplomatique pour faire face aux surprises qui pourraient provenir de l'administration Biden. Cependant, la façade belliqueuse et nationaliste qui a été déployée avec un certain succès par l’air dur du parti au pouvoir au Burundi risque d'être désapprouvée et moins tolérée par l'administration de Biden.

Bien sûr, seul le temps nous dira si quelque chose change qui pourrait amener Gitega à respecter ses obligations envers ses citoyens.



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