Au Burundi, la mauvaise gouvernance et la corruption tuent plus que la COVID-19

Le Burundi est à la croisée des chemins. Les burundais ne peuvent plus continuer à observer leurs frères et sœurs mourir de faim, de maladies et de répression, à cause d`un système qui ne les protège pas. Une nouvelle gouvernance est nécessaire, non seulement pour le Burundi d`aujourd`hui, mais et surtout, pour les générations futures. Le Gouvernement doit aussi s`attaquer à la corruption, qui est devenue endémique. Un franc détourné est la santé d`un enfant qu`on sacrifie, c`est aussi sa scolarisation, son avenir et l`avenir de la Nation toute entière. Que les burundais le sache : la Nation est en danger

Par
Andre Nikwigize
on
2.11.2020
Categorie:
Gouvernance

Aujourd`hui, le monde est en guerre contre la pandémie de la COVID-19, qui a déjà affecté environ 45 millions de personnes, dont 70% en sont guéries, tandis que plus de 1 million de personnes en sont décédées. Le monde est mobilisé pour se protéger contre la pandémie, en attendant de trouver le vaccin et les médicaments pour l`éradiquer à jamais. Au Burundi, il y a une autre pandémie qui tue plus de personnes que la COVID-19 : C`est la mauvaise gouvernance et la corruption. Les deux fléaux ont appauvri plus de 8 millions de burundais, chaque jour, des femmes, des hommes et des enfants meurent par manque de nourriture, de médicaments, ou tout simplement sont tués par les forces de l`ordre et les milices. L`agriculture a été délaissée et ne peut plus nourrir la population. Les investisseurs privés ont retiré leurs capitaux du Burundi, tandis que les partenaires de développement du Burundi ont, soit suspendu, ou réduit, leur assistance. La Nation burundaise est en danger.


1. Une situation socio-économique préoccupante


Aujourd`hui, le Burundi est le pays le plus pauvre du monde. Plus de 8 millions de burundais sont dans l`extrême pauvreté, et gagnent, en moyenne, a peine 0,7$ (1.300 FBU), par personne et par habitant, soit moins de la moitié du taux de 1,9$ par personne et par jour, fixé par les Nations Unies. Et ce n`est qu`une moyenne. Cela veut dire que beaucoup de burundais ne gagnent même pas 500 FBU par jour et par  personne. C`est tragique. Les institutions internationales estiment que si rien n`est fait, en 2030, plus de 80% de la population burundaise sera dans l`extrême pauvreté. Le Burundi se trouve être également le pays le plus affamé au monde, plus de la moitié des burundais se trouvent en insécurité alimentaire, tandis que plusieurs enfants meurent de malnutrition chaque jour.


La situation sanitaire est également préoccupante : des taux de mortalité maternelle et infantile élevés, des hôpitaux qui sont devenus des mouroirs, faute de médicaments, d`équipements adéquats et de personnel soignant insuffisant, et des autorités qui délaissent le secteur de la santé, un système d`enseignement désastreux, avec des enfants qui n`ont plus de bancs pour s`asseoir, un personnel enseignant insuffisant et non qualifié, sans parler de la qualité de l`enseignement qui s`est considérablement dégradée, ce qui hypothèque l`avenir du Burundi.
Le chômage des jeunes atteint un niveau alarmant de 65%. Au lieu de leur trouver des emplois, ces jeunes sont utilisées pour torturer, violer et tuer des populations innocentes. Chaque jour, les organisations de défense des droits de l`homme dénombrent des civils tués et jetés sur les bords des routes ou dans les rivières. Des femmes enceintes, des enfants, des personnes âgées et ayant un handicap, meurent chaque jour par manque de soins et d`accès aux médicaments.
C`est une situation socio-économique au bord de l`implosion.

Source: Statistiques de la CNUCED, 1970-2019

2. Comment en est-on arrivé à une telle situation ?


Les causes sont multiples. Nous donnons ici quatre facteurs, parmi d`autres :


La première cause est relative à la mauvaise gouvernance et la corruption. Comme cela apparaît sur le graphique ci-haut, depuis la crise politique de 1993, résultant de l`assassinat du Président Melchior Ndadaye, la situation socio-économique n`a cessé de se détériorer. Depuis que le CNDD-FDD est au pouvoir, les cas de mauvaise gestion des ressources publiques et de corruption ont aggravé une situation déjà fragile. C`est d`abord, la nomination des fonctionnaires a des postes dont ils ne possèdent pas les capacités professionnelles, la gestion calamiteuse de l`attribution des marchés publics, l`affectation des devises de change a des proches du pouvoir, le système chaotiques de privatisation des entreprises publiques, la mainmise du secteur privé par certains responsables du pouvoir, qui contrôlent la majeure partie des entreprises privées du Burundi, etc. Les institutions internationales, telle que la Banque Mondiale ont estimé que la corruption aurait drainé environ 18% des aides extérieures, qui se retrouvent dans les paradis fiscaux. On estime qu`environ 250 milliards de FBU sont détournés chaque année. Ce montant très important  pourrait favoriser le développement de l`agriculture de façon notoire, équiper les écoles et les hôpitaux du pays. Récemment, une institution de notation de la corruption des pays a classé le Burundi comme le deuxième pays le plus corrompu dans le monde, avec une notation de 19 points. Dans le pays le plus pauvre du monde, c`est scandaleux.

Deuxièmement,le faible soutien à l`agriculture. Le Gouvernement du Burundi n`a pas l`air de reconnaitre le rôle de l`agriculture dans le développement durable du pays. Le budget national consacré au secteur agricole atteint à peine 3%. C`est, par conséquent, normal que la production agricole soit très faible et que beaucoup de ménages souffrent de la faim et de la malnutrition. Enfin, le Burundi est le pays qui utilise le moins d`engrais dans le monde, dans un pays où la fertilité agricole baisse sensiblement du fait de la surexploitation. Et pourtant, nous savons que l`agriculture contribue pour plus de 40% au Produit Intérieur Brut, procure 84% des emplois, sans oublier que l`agriculture fournit 95% de produits alimentaires consommés par les burundais, la principale source de devises étrangères, et que presque 100% des matières premières des industries proviennent de l`agriculture.


Troisièmement,la baisse des financements extérieurs. Depuis 2015, les aides extérieures au Burundi ont baissé sensiblement, du fait de la crise politique déclenchée depuis 2015, de la violation des droits de l`homme, de la mauvaise gestion des ressources publiques et de la corruption. Les montants de l`aide au développement accordé au Burundi a été divisé par trois, passant de presque 600 millions de dollars américains a 160 millions de dollars, américains entre 2015 et 2019. Un pays qui dépendait a plus de 55% des aides extérieures, le manque à gagner était énorme. Ce sont beaucoup de projets qui sont sacrifiés. Le Burundi manque énormément de devises pour importer les médicaments et le carburant et les engrais.


Quatrièmement, l`absence d`investissement privé. Depuis l`année 1993, d`une part, à cause de l`instabilité dans le pays, ensuite, par manque de politique claire en matière de promotion des investissements directs étrangers, il n`a pas été possible d`attirer des investissements privés, nationaux et étrangers. Les investissements directs étrangers, évalués à 47 millions de dollars américains en 2014, se sont réduits aujourd`hui à seulement 1 million de dollars américains. Il faut signaler les importants investissements privés dans les autres pays de la région de la Communauté de l`Afrique de l`Est.


3. Quelles solutions pour sortir de cette crise ?



Lorsque le Président Ndayishimiye est entré en fonction, le 18 juin 2020, quelles que soient les conditions dans lesquelles il a accédé au pouvoir, beaucoup de burundais avaient placé de grands espoirs au nouveau Président  qu`il serait différent de son prédécesseur, qu`il serait sensible à leur misère, qu`il aurait fait un état des lieux pour se rendre compte de la descente aux enfers dans laquelle le Burundi est entrain de s`acheminer, et qu`il prendrait les mesures nécessaires pour remettre le Burundi sur le chemin de la relance économique. Il aurait dû prendre la mesure de l`impact de la COVID-19, pandémie mondiale, qui a, non seulement, une portée sur la santé des populations burundaises, mais également sur une économie nationale déjà fragilisée par la mauvaise gouvernance et la corruption. Au lieu de cela, le Président a préféré poursuivre la descente aux enfers de son prédécesseur, en maintenant les mêmes personnes qui ont précipité l`économie vers l`implosion, en continuant à minimisant l`impact de la COVID-19 sur la santé des burundais et sur l`économie nationale.

De ce qui précède, il est urgent d`entreprendre les 4 actions suivantes :

1) Urgence COVID-19 : Déclarer l`état d`urgence dû à la pandémie de la COVID-19 et adopter immédiatement les mesures appropriées pour faire face aux effets de la pandémie sur tout le territoire national, y compris le vote d`un budget approprié pour faire face à la pandémie. Depuis le début de cette pandémie, le Gouvernement en a minimisé l`importance. Mais elle tue chaque jour, des familles entières pleurent les leurs, emportées par la pandémie. Des femmes et des jeunes ont perdu les activités génératrices de revenus dans le petit commerce et le secteur informel. Beaucoup de personnes, surtout des jeunes, ont perdu leurs emplois, et se retrouvent aujourd`hui chômeurs, avec des risques de se réfugier dans la criminalité et autres actions de banditisme.

2) Plan d`Urgence et de Relance Economique (PURE): Le Gouvernement devrait adopter un programme d`urgence en vue, d`une part, aider les ménages affectés par la faim, acheter des médicaments, équiper les écoles primaires, acheter et distribuer des engrais et les semences sélectionnées, et d`autre part, élaborer un chantier de relance économique, en sélectionnant les secteurs stratégiques prioritaires, tels que l`agriculture, l'électrification et la promotion du secteur privé. Une Commission ad hoc d`Experts serait mise en place à cet effet.


3) Promouvoir le Partenariat Gagnant-Gagnant avec le Secteur Privé (PPP). Depuis l`année 2005, l`absence d`une paix durable et d`une politique claire en matière de promotion des investissements privés, il n`a pas été possible d`attirer des investissements privés, nationaux et étrangers. Dans un pays dont 65 % de la population active est constituée de jeunes âgés de 20 à 24 ans, mais où plus de 66% de ces jeunes sont sans emplois, la jeunesse constitue une opportunité pour le développement national, mais elle peut aussi représenter une « bombe à retardement », si rien n`est fait pour elle.  Le Gouvernement devrait arrêter les messages populistes d`appeler les jeunes pour leur offrir des emplois, il n`en a, ni les moyens, ni les capacités. Seul un secteur privé fort et dynamique pourra résorber durablement le chômage des jeunes.


4) Appel à l`Aide Internationale : Depuis la crise politique de 2015, les partenaires de développement du Burundi ont suspendu ou réduit leurs financements au Burundi. L`on serait attendu à ce que le nouveau Gouvernement de Ndayishimiye fasse preuve d`humilité et qu`il saisisse l`occasion qu`il y a une nouvelle équipe gouvernementale pour relancer la coopération internationale et remobiliser les financements extérieurs nécessaires à la relance économique. Au lieu d`une telle approche, le Gouvernement continue de lancer des messages d`arrogance envers la communauté internationale, et c`est malheureux pour le Burundi.

Enfin, le Burundi est à la croisée des chemins. Les burundais ne peuvent plus continuer à observer leurs frères et sœurs mourir de faim, de maladies et de répression, à cause d`un système qui ne les protège pas. Une nouvelle gouvernance est nécessaire, non seulement pour le Burundi d`aujourd`hui, mais et surtout, pour les générations futures. Le gouvernement doit aussi s`attaquer à la corruption, qui est devenue endémique. Un franc détourné est la santé d`un enfant qu`on sacrifie, c`est aussi sa scolarisation, son avenir et l`avenir de la Nation toute entière. Que les burundais le sache : la Nation est en danger !!!

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Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991