Évariste Ndayishimiye choisit de gouverner à coups de colère: Face à des critiques fondées sur des faits et des chiffres, le président burundais s’abandonne à l’invective et aux attaques personnelles
Pendant que des militants et journalistes burundais exposent les chiffres accablants de l’économie et de la pauvreté, le président Ndayishimiye choisit la guerre verbale. Cette stratégie inhabituelle, où la calomnie remplace la répression directe, révèle un pouvoir aux abois et une présidence en perte de légitimité.
À bout d’arguments face à des critiques fondées sur des faits, le président burundais s’abandonne à l’invective et la caricature. Entre peur et orgueil, sa présidence se fragilise alors que le pays s’enfonce dans la crise.
Évariste Ndayishimiye, président du Burundi, semble avoir choisi de gouverner à coups de colère plutôt que par la raison. Là où ses prédécesseurs utilisaient la répression pour réduire le silence de leurs opposants, lui a troqué la prison contre le micro et la brutalité physique contre les attaques personnelles. Ses récentes diatribes contre des militants et journalistes burundais, relayées par HRD Burundi et FOCODE, révèlent une obsession pour la contestation plutôt qu’un engagement à résoudre les crises qui étouffent son pays. Ces critiques ne sont pas des pamphlets hostiles : elles s’appuient sur des faits concrets. L’inflation atteint près de vingt pour cent, la croissance plafonne à 3,9 % alors que le Rwanda atteint 8,9 %, et plus de deux tiers des Burundais vivent sous le seuil de pauvreté. Les écoles s’effondrent, les hôpitaux manquent de tout et la jeunesse s’exile faute d’opportunités. Ces réalités, simples et vérifiables, sont aujourd’hui la cible d’invectives présidentielles qui cherchent moins à contredire les données qu’à salir ceux qui les exposent.
Parmi les figures visées, deux noms illustrent la tension du moment. Pacifique Nininahazwe, exilé, est hors de portée de la répression et peut répondre depuis l’étranger. Faustin Ndikumana, directeur de PARCEM, vit toujours à Bujumbura, au cœur du pays. Son choix de rester expose à la fois son courage et un risque certain. Dans un pays où la critique a souvent conduit à l’emprisonnement, à l’intimidation ou à la disparition, sa présence et ses prises de position valent une vigilance particulière. Comme le rappelle un analyste basé à Nairobi : « Au Burundi, quand le chef de l’État cite un nom, c’est rarement pour en faire un exemple positif. Être nommé, c’est être désigné. » Même si la campagne de Ndayishimiye reste pour l’instant verbale, le simple fait de désigner publiquement des opposants crée un climat de danger latent.
La méthode elle-même est révélatrice. Ndayishimiye sait que beaucoup de ses critiques ont raison, et il sait que Nininahazwe, depuis l’exil, échappe à sa portée. Faute de pouvoir les atteindre physiquement, il tente de les atteindre moralement par la caricature et l’humiliation. Dans les rues de Gitega et sur les marchés de Bujumbura, les habitants commentent avec amertume : « Il crie contre les exilés, mais qui nourrit nos enfants ? » ou « Qu’il crie, cela ne change rien à la faim dans nos foyers. » Le président ne semble plus parler au pays, mais se parler à lui-même, réglant ses comptes par des mots que tout le monde entend et que personne ne prend au sérieux.
L’écrivain et journaliste Antoine Kaburahe a résumé ce paradoxe avec lucidité : « Un président qui s’abaisse à frapper verbalement ne se défend pas, il se trahit. » Gouverner ne consiste pas à hurler plus fort que ses détracteurs, mais à affronter la réalité et à répondre par des actions concrètes. Ndayishimiye s’abandonne à la fureur, à l’invective et au sarcasme, tandis que les routes se dégradent, que les hôpitaux restent vides, que l’économie stagne et que les jeunes s’exilent par milliers.
Le Burundi mérite un président capable d’écouter, de dialoguer et de répondre aux faits, fût-ce avec humilité. Il mérite un dirigeant qui reconnaît la vérité plutôt que de l’attaquer, qui respecte ceux qui la portent et qui mesure que le dénigrement verbal ne remplace pas les réformes structurelles. La colère du président, bien que spectaculaire, révèle avant tout la fragilité de son pouvoir, l’incapacité à assumer la critique et la faiblesse de sa présidence. Tant que la présidence préférera la rage à la lucidité, les mots de Ndayishimiye resteront un écho creux dans un pays qui perd chaque jour un peu plus foi en ses institutions et en son futur.
