Forum ou foire d’accusations ?: Tshisekedi et l’art de détourner la scène internationale
Tshisekedi a choisi le Global Gateway Forum organisé par l’Union européenne à Bruxelles pour ressasser le vieux récit d’un Congo victime de son voisin rwandais, accusé une fois de plus de soutenir les rébellions à l’est du pays. L’ironie de la situation était palpable : au moment même où il détournait l’attention de la tribune, son ton devenait hésitant, sa voix trahissait l’embarras – signe, sans doute, de la conscience qu’il violait lui-même les codes de l’art diplomatique.
Il est des scènes qui, dans l’histoire contemporaine de la diplomatie, demeurent inclassables tant elles violent les usages les plus élémentaires de la bienséance étatique. Celle offerte récemment par le président congolais Félix Tshisekedi, lors du Global Gateway Forum organisé par l’Union européenne à Bruxelles, en est une illustration quasi caricaturale.
Là où l’on attendait un propos calibré, ancré dans la raison d’État, une réflexion sur la gouvernance économique mondiale ou une analyse des défis du commerce africain, le chef de l’État congolais a préféré transformer l’estrade en tribune domestique, en théâtre d’accusations bilatérales et en espace d’exorcisme politique.
Résultat : un moment diplomatique d’une maladresse si rare qu’il mérite d’être disséqué.
1. Quand l’économie s’efface devant la « politique des griefs »
La première entorse à l’orthodoxie diplomatique réside dans la nature même de l’intervention. Dans les enceintes multilatérales, le principe de pertinence thématique – notion chère aux praticiens des relations internationales – impose que les interventions se concentrent sur l’objet du sommet. En d’autres termes, on ne parle pas de querelles frontalières lors d’un forum économique mondial.
Tshisekedi a pourtant choisi ce terrain pour ressasser le vieux récit d’un Congo victime de son voisin rwandais, accusé une fois de plus de soutenir les rébellions à l’est du pays. L’ironie de la situation était palpable : au moment même où il détournait l’attention de la tribune, son ton devenait hésitant, sa voix trahissait l’embarras – signe, sans doute, de la conscience qu’il violait lui-même les codes de l’art diplomatique.
Cette décontextualisation stratégique, qui rappelle la théorie du forum hijacking décrite par Hedley Bull dans The Anarchical Society, est rarement pratiquée par les dirigeants soucieux de leur crédibilité internationale. Elle trahit souvent un déficit d’arguments sur le fond et une volonté d’instrumentaliser l’opinion internationale à des fins domestiques.
2. L’« offre de paix » : un exercice d’ironie diplomatique
Le président congolais s’est ensuite livré à une mise en scène pour le moins théâtrale : une « main tendue » au président Kagame, prétendument pour la paix, aussitôt suivie d’une condition humiliante – Kigali devrait « ordonner » aux rebelles de déposer les armes.
Dans le lexique diplomatique, on appellerait cela un acte performatif contradictoire : offrir la paix tout en formulant une exigence qui la rend impossible. Derrière ce geste se cache en réalité une tentative grossière de construire la narration selon laquelle Kigali contrôlerait intégralement les groupes armés à l’est du Congo – narration simpliste et, surtout, délibérément déformée.
Car Tshisekedi sait – ou feint d’ignorer – que la crise congolaise est avant tout congolo-congolaise. De nombreux rapports de l’ONU, de l’International Crisis Group ou de Human Rights Watch ont démontré l’ampleur des causes internes : fragmentation de l’État, gouvernance défaillante, rivalités ethniques instrumentalisées par Kinshasa lui-même.
De même, il omet soigneusement de rappeler que les FDLR – héritiers des milices Interahamwe responsables du génocide des Tutsi au Rwanda – sont aujourd’hui encore intégrés dans l’armée congolaise (FARDC) et continuent de cibler les communautés tutsi au Nord-Kivu.
Cette réalité, pourtant documentée, réduit à néant la prétention du président congolais à incarner le camp de la paix.
3. La stratégie de l’évitement : accuser pour ne pas assumer
Ce discours n’est en réalité que la répétition d’une vieille stratégie : la politique de l’évitement.
Plutôt que d’affronter les défis réels – effondrement de l’autorité de l’État, corruption endémique, militarisation des milices locales, absence de réforme de l’armée – Tshisekedi préfère désigner un coupable extérieur.
La sagesse diplomatique recommande pourtant, comme le disait le juriste Raymond Aron, de « garder l’ennemi hors de l’estrade et les solutions dans la salle de crise ».
Le président congolais fait l’inverse : il exporte ses problèmes sur la scène internationale pour éviter d’y répondre chez lui.
Quant à Kigali, la réaction est jusqu’ici inexistante – une forme de réponse silencieuse. Comme le suggère un vieux proverbe français : parfois, la meilleure façon de répondre à l’absurde est de ne pas le commenter.
4. L’omission burundaise : une gifle diplomatique
Mais la palme de l’incohérence revient à un détail qui, à lui seul, en dit long : Tshisekedi a publiquement remercié l’Afrique du Sud et la Tanzanie pour leur soutien militaire… mais a soigneusement omis de mentionner le Burundi.
Cette omission n’est pas anodine.
Le Burundi a pourtant déployé un nombre de troupes largement supérieur à celui de ces deux pays. Il a payé le prix du sang – des milliers de soldats tombés au Nord-Kivu dans une guerre qui n’est pas la sienne.
Cette ingratitude met en lumière deux vérités cruelles.
D’abord, elle rappelle au président Évariste Ndayishimiye à quel point sa décision d’envoyer des troupes au Congo est impopulaire et politiquement suicidaire.
Ensuite, elle révèle que, pour Kinshasa, l’effort burundais est considéré comme un dû, presque comme un service mercenaire, indigne même d’être cité.
L’expression française peine perdue résume parfaitement cette absurdité : les sacrifices burundais n’auront servi qu’à renforcer une guerre étrangère dans laquelle leur pays n’a aucun intérêt stratégique.
Le prix de l’imprudence diplomatique
En définitive, ce discours restera dans les annales non pas pour ce qu’il a dit sur l’économie africaine – car il n’a rien dit – mais pour ce qu’il a révélé sur son auteur.
Il a montré un président prompt à instrumentaliser les tribunes internationales pour ses querelles internes, incapable d’assumer les réalités de son pays, et assez peu avisé pour ignorer ses alliés les plus engagés.
Il a surtout prouvé que la diplomatie n’est pas une scène pour les monologues victimaires, mais un espace de responsabilité et de lucidité.
Pour Bujumbura, cette allocution – prononcée lors du Global Gateway Forum à Bruxelles – devrait être un électrochoc.
L’armée burundaise, qui a versé son sang pour une cause étrangère, devrait réfléchir sérieusement avant de continuer à s’engager dans une guerre où son sacrifice n’est ni reconnu ni respecté.
Car au fond, ce silence congolais en dit plus long que tous les discours : dans l’équation de Kinshasa, le Burundi n’est pas un partenaire stratégique. Il n’est qu’un instrument ponctuel, rémunéré, utilisable – et oubliable.
Ainsi, le discours de Félix Tshisekedi n’était pas seulement une faute de goût diplomatique ; il fut une leçon d’amnésie stratégique, un manifeste d’irresponsabilité, et peut-être – sans qu’il ne s’en rende compte – l’aveu le plus clair de son incapacité à diriger un pays qui s’effondre… sans même qu’il soit en guerre.