1er Juillet 1962 : Indépendance du Burundi ou le Prix du Patriotisme

Par
Andre Nikwigize
on
30.6.2021
Categorie:
Opinion

André NIKWIGIZE

Ce 1er juillet 2021, les Burundais célèbrent le 59ème anniversaire de l`indépendance nationale. Mais très peu savent que cette indépendance fut acquise après un combat acharné des patriotes burundais, dans lequel le héros de ce combat, le Prince Louis RWAGASORE, perdit la vie, assassiné par des ennemis de la Nation.

La victoire du parti UPRONA aux élections législatives de septembre 1961, qui ont conduit le Burundi à l`indépendance n`eut été possible sans les facteurs suivants : le charisme du Prince Louis RWAGASORE, la participation massive des femmes et leur soutien à l`UPRONA, le soutien de tous les lettrés, les laissés-pour compte, les victimes de la discrimination raciale et sociale de l`Administration et la Tutelle, enfin, la supervision des élections par l`Organisation des Nations Unies.

Au Burundi, la fin des années 1950 fut marquée par une participation très active des Burundais dans la recherche de leur autonomie vis-à-vis de l'autorité tutélaire. Ces velléités d`autonomie et d`indépendance nationale au sein de l’élite, irritèrent la Belgique, qui les considéra comme une attaque directe contre sa tutelle sur le Burundi. Il fallait, par conséquent, déployer tous les moyens pour combattre ces velléités.

Aussitôt, le pouvoir de Tutelle exprima son opposition à l’octroi de l’indépendance, qui, à ses yeux, ne pouvait que mener à la restauration de la « tyrannie des féodaux ». Il prônait, par conséquent, l’organisation d’une transition lente et la concession d’une autonomie progressive, à mesure que les nouvelles institutions auraient fait leur preuve. Dans l`entendement de la Tutelle, l`indépendance du Burundi ne pouvait être envisagée avant 1980 ou 1990.

Deux Forces Politiques s`opposent

Malgré cette opposition de la Tutelle, en 1958, le Prince RWAGASORE, avec d`autres patriotes burundais, créèrent, à Muramvya, le Parti UPRONA. D`autres partis rejoignirent l`UPRONA, pour former la Coalition des Partis Démocrates.

Plusieurs autorités “coutumières” et quelques membres du clergé autochtone, se joignirent à l`initiative. Cette initiative fut accueillie avec enthousiasme par de nombreux commerçants swahili. Après la publication de ses statuts en 1959, l’UPRONA explicita sa pensée dans deux manifestes qui parurent coup sur coup à la fin de cette même année. Rappelant que des forces éparpillées se perdaient souvent en bonnes volontés impuissantes à résoudre les problèmes complexes posés à cette époque au Burundi, le Comité Central de ce parti déclarait vouloir rassembler tous les Burundais sans distinction “ethnique”, sociale ou religieuse. Tandis qu’il revendiquait, pour 1960, une autonomie interne devant conduire à brève échéance à l’indépendance, sur les plans économique et social, il proposait une politique progressiste : élevage rationnel, agriculture intensive et planifiée, industrialisation du pays, lutte contre l’analphabétisme, formation civique des citoyens. Un programme progressiste en somme, autant de raisons qui incitèrent toutes les couches la population, Hutu comme Tutsi, clergé autochtone, comme musulmans, à répondre nombreux à l`appel de RWAGASORE.  

Le manifeste du parti l'UPRONA, énumérait les objectifs : combattre le féodalisme, le colonialisme et le communisme. En plus, il se prononça en faveur d'une politique étrangère non alignée, sans relations privilégiées avec les anciennes puissances coloniales. Cette vision sociale du Parti UPRONA, pour l`émancipation et la prospérité partagée du peuple, ainsi que les relations d`amitié avec Nyerere et Lumumba, confèrent à l`UPRONA des qualificatifs de parti communiste, et par conséquent, contraire aux intérêts des occidentaux, dont la Belgique. La jeunesse burundaise de la Diaspora rejoignit le mouvement autonomiste et indépendantiste, conduit par l`UPRONA.

Le parti UPRONA connut une expansion rapide à partir de 1959, aussi bien dans les zones urbaines que sur les collines rurales, dans les milieux Hutu comme Tutsi. Les meetings de RWAGASORE, dont le prestige était lié autant à sa filiation royale qu’à son charisme personnel, déplacèrent des foules enthousiastes.

Pour contrer la montée de l`UPRONA et l`affaiblir, la Tutelle belge décida de promouvoir la création de partis rivaux, regroupés au sein du Front Commun Populaire, en deux catégories : 1) des partis du clan des BATARE, coordonnés par le Parti Démocrate-Chrétien (PDC), et 2) des partis à connotation HUTU, coordonnés par le Parti du Peuple (PP). Pendant longtemps, les occupants Allemands et Belges avaient joué sur les divisions entre les BATARE et BEZI, qui leur permettaient d`affaiblir le pouvoir du Roi. Cette fois-ci, l`enjeu était de taille : il fallait, à tout prix, contrer la victoire de l`UPRONA, parti qualifié de communiste et anti-occidental, à cause de son programme d`émancipation social et économique, et des relations qu`il entretenait avec LUMUMBA, du Congo Belge, et NYERERE de la Tanganyika Territory.

Le Parti Démocrate-Chrétien (PDC), fondé en février 1960, était très dévoué à l`administration coloniale. Cette formation, à l`inverse de l`UPRONA, rejetait catégoriquement une indépendance immédiate : elle se bornait à dire qu`elle désirait tout d`abord construire un Etat démocratique basé sur les principes chrétiens de justice, d’égalité et de respect de la personne humaine. Par conséquent, le parti réclamait une autonomie du Burundi, mais seulement, après une période de transition, pour préparer les Burundais à s'auto-administrer. En cela, la Belgique poursuivait sa politique de jouer sur les rivalités entre les membres de la famille royale, entre les BEZI et les BATARE.

Ce fut ensuite, le Parti du Peuple (PP), qui fut fondé le 3 décembre 1959, et agréé le 4 février 1960. Il fut issu de l’Association des progressistes et des démocrates Barundi. Le programme du parti fut d’instaurer une société égalitaire et promouvoir les Bahutu, aux plans politique, social, économique et culturel. Le PP ne tenait pas à l’indépendance immédiate, car “la caste féodale”, c`est à dire, les Ganwa et les notables Tutsi, risquait de la récupérer pour rétablir sa “domination sur le peuple” ». Derrière ce parti, en plus du Gouverneur-Général et du Résident de la Tutelle belge, il y avait un certain Albert MAUS, devenu Président d`une fédération de colons du Ruanda-Urundi, ancien Résident du RWANDA et membre du Conseil du Vice-Gouverneur Général. Prêtre défroqué, son principal souci étant l'émancipation des Hutu, à l`instar de la « Révolution Sociale de 1959 » au Rwanda.

Pour neutraliser davantage l`action de RWAGASORE au sein de l`UPRONA, en août 1960, le pouvoir de tutelle introduisit une disposition qui interdisait aux proches parents et alliés du Roi d’exercer des fonctions ou de participer à des activités politiques. Les autorités belges s’en servirent dès qu’elles purent prouver que RWAGASORE y contrevenait, ce qui fut le cas en octobre 1960 : de retour du Tanganyika Territory (Tanzanie), où il venait de passer trois semaines, la fouille de ses bagages à l’aérodrome d’Usumbura fut organisée de façon à prouver qu’il transportait des tracts « séditieux ». Il fut, immédiatement, placé en résidence surveillée pour la durée des communales, soit du 27 octobre au 9 décembre 1960. Des hélicoptères sillonnaient le ciel et, à l`aide des porte-voix, les agents de la tutelle dispersaient tous les nationalistes en campagne.

Les élections communales de décembre 1960 sous tension

Du 5 au 8 décembre 1960 eurent lieu les élections communales. Dans un environnement de tension, marqué par l`absence de RWAGASORE, le Front Commun triompha au détriment de l'UPRONA dont les partisans furent largement persécutés par le pouvoir colonial. Sur 2.873 sièges de conseillers communaux à pourvoir, il y eut 925 sièges au PDC, soit 32,30%, 545 à l'UPRONA, soit 18,97%, 501 pour le PDR, soit 17,44%, 222 au PP, soit 7,72%. Le Front Commun totalisait une moyenne de 57%.

Le but de la Tutelle était atteint : les élections communales furent remportées par le PDC, parti soutenu par la Belgique.  

HARROY confia, sans détours, en mars 1961, que « les Belges tenaient en échec les extrémistes, sous la direction de RWAGASORE, afin de donner aux modérés l'opportunité de s'imposer ». Il dira aussi que la lourde défaite de l'UPRONA lors de ces élections communales était la conséquence des « moyens non-négligeables » mis au service des opposants politiques à RWAGASORE par la tutelle belge.

Intervention de l`Organisation des Nations Unies

Face aux irrégularités relevées dans l'organisation des élections communales et à la crise socio-politique grave que traversait le Ruanda-Urundi, et les protestations des cadres du parti UPRONA, l'Assemblée Générale de l'ONU décida de prendre les affaires en main. Elle adopta, le 20 décembre 1960, la Résolution 1579, qui ordonna à la Belgique de retarder les élections législatives au Burundi, prévues le 28 janvier 1961, et les remettre à une date ultérieure. Ces élections devaient être organisées au suffrage universel.

Tenant compte de la Résolution 1579 de l`ONU et la visite imminente de ses experts au Burundi, pour la préparation des élections, la Belgique devança les travaux de la Commission de l`ONU et édicta deux ordonnances législatives qui mirent sur pied un Conseil intérimaire, une sorte d'Assemblée Nationale Intérimaire. Elle constitua également un Gouvernement d’union nationale, et à chacun des principaux partis politiques (PDC, PDR, UPP et UPRONA), il fut attribué deux ministères et deux Secrétariats d’Etat. Tous les autres partis acceptèrent la proposition, sauf l`UPRONA, qui se mit à dénoncer ces institutions intérimaires. Il réclamait des élections au suffrage universel et signait des pétitions à l'endroit de l'ONU. L`ONU décida que les élections législatives auraient lieu le 18 septembre 1961, et que RWAGASORE devait être libre de ses mouvements.

Les élections législatives du 18 septembre 1961 et la Victoire de l`UPRONA

Les élections de septembre 1961 se déroulèrent normalement, sans incidents. Malgré tous les blocages, l'UPRONA sortit vainqueur de ces élections, et totalisait environ 625.000 voix contre 13.500 du Front Commun. Sur 64 sièges que comptait l'Assemblée Nationale, l'UPRONA en obtint 58, tandis que le Front Commun en obtint 6. Le Front Commun protesta en évoquant la propagande faite par le fils du roi, malgré l'interdiction qui lui était faite de ne pas faire la politique, au risque de transformer la consultation populaire en un plébiscite du roi. Mais les résultats de ces élections furent validés par l`ONU et par la Tutelle.

Cinq facteurs principaux ont favorisé la victoire du Parti UPRONA :

1) Le charisme du Prince Louis RWAGASORE. Au cours des campagnes, il prônait l`unité nationale, la transformation socio-économique du pays. Il avait déjà montré l`exemple par la promotion des coopératives de production et de commerce, qui avaient permis aux burundais de s`autonomiser.

2) Les femmes venaient d`obtenir le droit de vote, en 1961. Par conséquent, les femmes furent les premières à voter pour le parti UPRONA, et elles représentaient plus de 50% de l`électorat. Elles montrèrent un intérêt tout particulier dans l`élection, et cela, dans toutes les communes. Dans presque toutes les communes, leur nombre dépassait celui des hommes. Les observateurs des Nations Unies furent, notamment, surpris de constater que les femmes se levaient tôt le matin, et attendaient de longues heures, certaines, avec des enfants au dos, pour voter.

3) Le Parti UPRONA était le favori de tous les lettrés, les laissés-pour-compte de la Tutelle et de l`Administration indigène, les victimes conscientes de la discrimination raciale et scolaire, les séminaristes, les moniteurs et vulgarisateurs agricoles, les enseignants et autres, qui virent dans l`UPRONA, sinon une voie d`accès au pouvoir, au moins, un moyen d`enquiquiner les gouvernants.

4) L`intimidation, dont faisaient l`objet les leaders nationalistes par le pouvoir colonial, eut pour effet d`accroitre leur popularité.

5) La supervision des élections par des observateurs des Nations Unies, ce qui a favorisé la transparence et la libre expression.

La victoire de l`UPRONA signifiait, par conséquent, non seulement un échec cuisant pour les partis de l`opposition, mais, également, pour la Belgique, qui avait soutenu la révolution sociale des Hutu au Rwanda, et avait essayé de contrer la montée de l`UPRONA, par l`encouragement en faveur de la création des partis d`opposition dans la famille directe du Prince RWAGASORE (PDC et PDR) et dans les milieux extrémistes Hutu (PP et autres).

Lors du discours historique, prononcé au lendemain de la victoire du Parti UPRONA, le Prince RWAGASORE avait démontré que l`évolution politique du Burundi allait se dérouler selon la volonté du peuple Murundi, qui avait placé sa confiance dans le Parti UPRONA. Il s`engageait notamment à « servir le pays et le peuple ». Le discours de RWAGASORE était historique. Il fut assassiné moins d`un mois après ce discours.

L`indépendance nationale fut célébrée le 1er juillet 1962, dans la douleur d`avoir perdu le héros de cette indépendance, mais aussi, dans la joie de retrouver, enfin, la souveraineté perdue depuis 59 ans. Depuis cette date, le virus ethnique a continué à gangrener la Nation Burundaise. Le rêve de RWAGASORE de bâtir un Burundi paisible, heureux et prospère, n`est jamais réalisé.

Puissions-nous espérer qu`un jour, les Burundais honoreront la mémoire de ce héros hors-pair de notre indépendance. Ce combat patriotique ne peut être oublié.

Tags:
Pas de Tags
Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991