Burundi 2027 : le vertige de l’homme d’État face au miroir du politicien
En 2027, si Evariste Ndayishimiye parvient à se maintenir au pouvoir, ce sera moins par adhésion populaire que par absence d’alternative crédible. Mais l’histoire est implacable : lorsque les dirigeants finissent par croire à leurs propres mirages, le réveil est souvent brutal. Le Burundi mérite un homme d’État. Pour l’heure, il n’a qu’un candidat à sa propre succession, avançant à vue dans une tempête qu’il a lui-même contribué à déclencher.
À deux ans de l’échéance présidentielle de 2027, le Burundi se trouve à un moment charnière de son histoire politique. Entre la promesse ambitieuse de la « Vision 2040-2060 » portée par le président Évariste Ndayishimiye et les réalités d’une économie exsangue, le pays avance sur une ligne de crête. Plus qu’un simple rendez-vous électoral, 2027 apparaît comme un test décisif : celui de la capacité des institutions burundaises à faire primer l’intérêt de l’État sur les réflexes de survie partisane, dans un contexte de crise systémique et de tensions régionales persistantes.
La différence entre l’homme politique et l’homme d’État ne se réduit pas à une question de rhétorique. Elle relève d’une posture, d’un rapport au temps et d’une hiérarchie des priorités. Comme le rappelle l’adage souvent cité en science politique : « L’homme politique pense à la prochaine élection ; l’homme d’État pense à la prochaine génération. » Là où le premier scrute l’urne et veille à la cohésion du clan, le second se projette dans la durée et œuvre à la pérennité de la nation.
Un président pris entre deux rôles
Au Burundi, cette distinction n’est plus théorique : elle structure désormais le débat national. Depuis son accession au pouvoir en 2020, Évariste Ndayishimiye a tenté d’incarner cette transition délicate. Héritier d’un pays diplomatiquement isolé et économiquement fragilisé, le général devenu président a voulu rompre avec l’image du chef de guerre pour endosser celle du bâtisseur. Mais à l’approche de 2027, le vernis du discours se fissure.
Entre ambitions de stature internationale et réflexes de conservation du pouvoir, l’exercice de la présidence révèle un homme tiraillé. Pris en étau entre l’image qu’il souhaite projeter à l’extérieur et les pesanteurs d’un système politique qu’il n’a pas su — ou voulu — transformer en profondeur, Ndayishimiye semble prisonnier de ses propres contradictions.
L’héritage empoisonné : une jeunesse instrumentalisée
L’un des obstacles majeurs à l’affirmation d’une véritable stature d’homme d’État demeure la question des Imbonerakure. Cette ligue de jeunes affiliée au parti au pouvoir, régulièrement dénoncée par les organisations internationales pour sa militarisation et ses exactions, incarne l’échec d’un projet sociétal fondé sur l’émancipation de la jeunesse.
Pour un homme d’État, la jeunesse représente un capital stratégique à valoriser par l’éducation, l’emploi et l’innovation. Pour le politicien, elle devient un instrument de contrôle. Malgré les promesses de rupture, les Imbonerakure ont continué à jouer un rôle de supplétif sécuritaire, qualifié de « milice » par plusieurs rapports onusiens. Cette militarisation tous azimuts a durablement terni l’image du Burundi, vidant de leur substance les discours officiels sur la réconciliation et l’ouverture.
Incapable de dépolitiser cette force vive, le pouvoir a laissé s’installer un État davantage préoccupé par la surveillance de sa population que par son émancipation. Le résultat est sans appel : une génération sacrifiée sur l’autel du maintien au pouvoir.
Le mirage économique : entre clientélisme et promesses minières
Face à un bilan social alarmant, le régime a multiplié les annonces économiques, souvent plus incantatoires que structurantes. Le Programme d’autonomisation économique et d’emploi des jeunes (PAEEJ), adossé à la Banque des jeunes (BIJE), devait transformer les chômeurs en entrepreneurs. Dans les faits, ces dispositifs sont devenus de nouveaux canaux de clientélisme politique.
Plutôt qu’une stratégie d’industrialisation cohérente, on assiste à une distribution de ressources politisée, visant à reconvertir les anciens « soldats du parti » en « entrepreneurs du régime ». L’objectif est transparent : acheter une paix sociale fragile à l’approche de 2027, sans créer de valeur durable pour l’économie nationale.
À cette logique s’ajoute le discours sur les richesses minières, présenté comme une solution miracle. Nickel, terres rares : le sous-sol burundais est brandi comme la promesse d’une indépendance financière imminente. Mais entre la vision affichée et la réalité d’une gestion opaque, dépourvue d’infrastructures énergétiques et de mécanismes de transparence, le fossé est abyssal. Ces ressources servent davantage de caution morale à un régime incapable de stabiliser sa monnaie, tandis que l’inflation continue d’étrangler le Burundais moyen.
Le pari sécuritaire et le piège régional
C’est sans doute sur le terrain militaire et régional que la présidence Ndayishimiye a essuyé ses revers les plus coûteux. L’engagement de la Force de défense nationale du Burundi dans l’est de la RDC, dans le cadre d’une alliance stratégique avec le président congolais Félix Tshisekedi, s’est soldé par un échec sanglant.
Loin de renforcer la sécurité nationale, cette intervention a coûté la vie à de nombreux soldats burundais, dont les cercueils rentrent dans un silence pesant. Là où l’homme d’État voit dans l’armée le garant ultime de la souveraineté, le politicien en a fait un instrument de troc diplomatique. Ce fiasco militaire a non seulement sapé le moral des troupes, mais aussi révélé l’absence d’une doctrine de défense autonome, au profit d’intérêts extérieurs.
Le Rwanda, ennemi commode
Dans ce contexte, la rhétorique anti-rwandaise s’est imposée comme un pilier central de la communication présidentielle. Le Rwanda et son président Paul Kagame sont érigés en boucs émissaires systématiques, accusés de tous les maux : insécurité, instabilité économique, dévaluation du franc burundais.
Ce discours belliqueux ne relève pas d’une stratégie de stabilisation régionale, mais d’une fuite en avant politique. En désignant un ennemi extérieur, le régime cherche à masquer ses échecs internes. Fermeture des frontières, tensions diplomatiques, propagande hostile : cette posture isole davantage le Burundi, pénalisant commerçants et citoyens ordinaires, sacrifiés sur l’autel d’une rancœur idéologique.
2027 : une machine électorale sur un volcan social
À l’approche de 2027, le CNDD-FDD conserve un contrôle étroit sur l’appareil politique. La candidature de Ndayishimiye à un second mandat apparaît moins comme une hypothèse que comme une certitude imposée. Pourtant, cette apparente solidité masque une fragilité profonde.
On ne gouverne pas durablement un pays à coups de slogans lorsque le carburant manque, que l’électricité devient un luxe et que la monnaie se déprécie sans cesse. Tandis que le président évoque 2040 et 2060, le citoyen burundais s’interroge sur son repas du soir. Ce décalage entre le faste du discours et la dureté du quotidien crée les conditions d’une explosion sociale que même les instruments de contrôle existants pourraient ne pas contenir.
Le crépuscule des illusions
Au final, le bilan d’Évariste Ndayishimiye est celui d’une promesse inaboutie. Présenté comme un réformateur, il s’est affirmé comme le gestionnaire d’un système privilégiant la survie du clan au détriment du salut national. Son choix de la confrontation régionale, son aventure militaire en RDC et l’instrumentalisation persistante de la jeunesse dessinent le portrait d’un politicien qui n’est jamais parvenu à s’élever pleinement au rang d’homme d’État.
En 2027, s’il se maintient au pouvoir, ce sera moins par adhésion populaire que par absence d’alternative crédible. Mais l’histoire est implacable : lorsque les dirigeants finissent par croire à leurs propres mirages, le réveil est souvent brutal. Le Burundi mérite un homme d’État. Pour l’heure, il n’a qu’un candidat à sa propre succession, avançant à vue dans une tempête qu’il a lui-même contribué à déclencher.
