Dans l'hypothèse où les combattants du M23 seraient des étrangers, le président congolais devrait s'en inquiéter.

Lors de la crise de sécession du Katanga, l’Armée Nationale Congolaise (ANC) a profité du soutien des troupes de Nations Unies. Pendant la rébellion Muleliste, il fallut l’intervention des mercenaires français et Belges. Les troubles causées par des mercenaires Européens en 1967 ont été contenus par une aide du président du Burundi, Michel Michombero. En réaction à la guerre de 80 jours, Mobutu a fait appel à l’intervention des forces françaises. Kabila père s'est appuyé sur les forces des pays de la SADC pour contrer les avancées de la rébellion du RCD.

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Alex Mvuka
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8.2.2024
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La Region

En effet !

Quelle que soit leur nationalité (Somaliens, Béninois, Algériens, Rwandais, Burundais ou Marsiens...), les combattants du M23 font preuve d'une ténacité et d’une résistance qui ne pourraient  résulter que d’un réel attachement à ce pays qu'ils ne cessent de réclamer à cor et à cri comme étant leur propre patrie.

Et peut-être, moi  Président de la République, je devrais réfléchir à la manière de mieux capitaliser les ressources humaines dont dispose mon pays.

En effet, en tant que Président d'un pays de la taille de la RD Congo, l'objectif ultime devrait être d'en faire une grande puissance économique, politique et militaire.

Certes, gérer un pays de la taille de la RD Congo n'est pas chose aisée. Tout gestionnaire avisé se doit d'apprécier l'immensité du patrimoine dont il dispose et se rappeler que la multiplicité des tribus et des cultures est tout aussi importante que la diversité des ressources naturelles.

Ne serait-il pas plus sage et judicieux de chercher à comprendre les déterminants de la formidable résilience du bras armé de groupes de populations qui réclament leurs droit (légitime et inaliénable) à la nationalité congolaise plutôt que vouloir les maintenir dans l'errance de l'exil ? Surtout que dans leurs revendications, ils mettent l'accent sur une meilleure gouvernance de leur pays.

Ne peut-on pas admettre qu'une meilleure gouvernance conduirait, de facto, à une armée plus forte et plus professionnelle ? Il est étonnant, voire même hallucinant de constater qu'à chaque fois que la RDC est confrontée à une rébellion, elle fasse toujours recours à des interventions et missions militaires étrangères pour rétablir la sécurité et restaurer l’autorité de l'Etat sur l'ensemble de son territoire.

En effet, depuis l'indépendance de la RDC  le 30 juin 1960, une rébellion pour la sécession du Katanga a été enclenchée le 11 juillet de cette même année. En 1964 la rébellion Muleliste a vu le jour et en 1967 la guerre de Jean SChrame s’est mise en ordre de marche. En 1977, il y a eu la guerre de six jours et la guerre de quatre-vingts jours (80) au Shaba. De 1996 -1998, l’Ex-Zaïre a connu la guerre dite de libération avec l’Alliance des Forces Democratiques pour la Liberation du Zaire (AFDL), suivie de celle du Rassemblement Congolais pour la Démocratie RCD0. En 2013 la RDC a fait face au Mouvement du 23 Mars (M23).

Pour tenter de mettre fin à tous ces conflits armés, des interventions extérieures, principalement de mercenaires, ont toujours été nécessaires pour restaurer la paix.

Lors de la crise de sécession du Katanga, l’Armée Nationale Congolaise (ANC) a profité du soutien des troupes de Nations Unies. Pendant la rébellion Muleliste, il fallut l’intervention des mercenaires français et Belges. Les troubles causées par des mercenaires Européens en 1967 ont été contenus par une aide du président du Burundi, Michel Michombero. En réaction à la guerre de 80 jours, Mobutu a fait appel à l’intervention des forces françaises. Kabila père s'est appuyé sur les forces des pays de la SADC pour contrer les avancées de la rébellion du RCD qui occupaient déjà la moitié du pays.  De même, les forces de la SADC sont venues à la rescousse des FARDC, incapables de dompter le M23 en 2013. Aujourd’hui, elles sont de retour à Goma pour, croit-on, rééditer l'exploit de 2013. Mais toujours, la SADC ne s'attaque pas aux causes du conflit, préférant se comporter en mercenaire. Dans ces conditions, on peut se demander si la RDC n'est et ne restera souveraine que par le nom.

Pourquoi faut-il toujours faire appel à d'autres pays, à des mercenaires et même à des bandes armées, pourtant reconnues comme "forces négatives" par les Nations Unies - suite aux atrocités qu'elles ne cessent de commettre contre les populations qu'elles prétendent protéger - pour assurer notre souveraineté ? Pire encore, nous n'hésitons pas à utiliser des groupes armés étrangers qui se sont rendus coupables de génocide dans leurs pays d'origine et qui ont également contribué aux massacres et aux viols des populations congolaises. C'est vrai, on dit que l'ennemi de son ennemi est son ami (de circonstance). Mais ne faut-il pas craindre l'effet "retour de bâton" ?

C'est dans toutes ces contradictions internes que se trouvent en réalité l'effritement de l'autorité de l'État et la perpétuation des crimes et des violences que ne cessent de subir nos populations. Mais cela n'empêche malheureusement pas les politiciens congolais en mal de positionnement de se faire les héros des théories mythiques et complotâtes sur un prétendu projet de balkanisation de notre pays, quitte aux services de sécurité congolaise de s'occuper de tout, sauf de cette menace sécuritaire majeure dont ceux qui se targuent le patriotisme en sont le véritable moteur d’exaspération.

La mission des Nations Unies (MONUSCO) qui opère en RDC depuis 1999 connait la situation sécuritaire de la RDC mieux que ses institutions de renseignements.

Ce pays ne devrait-il pas  plutôt soupçonner ses services de sécurité d’œuvrer pour cette balkanisation en désacralisant un champ qui leur est théoriquement réservé ?

Un fait est que ceux qui sont vilipendés comme étrangers et qui rappellent qu’ils sont congolais, démontrent une meilleure maîtrise des territoires contrôlés et assurent une meilleure sécurisation des populations dans les entités sous leur contrôle. Mieux encore, bien qu'en infériorité numérique et bien moins équipés, les rebelles ont réussi à défaire toutes nos unités spéciales en quelques semaines, à mettre en déroute une coalition de 250 groupes armés suffisamment fournis en armes, en munitions et en logistique nécessaire par le  ministère congolais de la défense, à tenir tête aux mercenaires recrutés à coup de centaines de millions de dollars, à humilier l'armée burundaise et à tenir tête aux Sud-Africains et aux Malawites, aux Tanzaniens, et ce, alors que tout a été fait pour faire monter en puissance l’armée congolaise par un armement moderne, sophistiqué et dévastateur fourni par le gouvernement chinois.

N'est-ce pas une fibre patriotique congolaise qui vibre dans le cœur des hommes du M23 ? Ces derniers ne font que lutter contre les injustices sociales dont ils sont victimes au premier rang, suivies par le peuple congolais dans son ensemble qui subit les conséquences d'une gouvernance où la corruption, le népotisme et la gabegie sont la règle depuis des décennies. Il est de notoriété publique que cette mauvaise gouvernance est sciemment entretenue par une classe politique véreuse et kleptocratique. Son égoïsme décrié par tous a des conséquences dramatiques sur la population, à savoir un niveau de vie parmi les plus bas au monde pour un pays scandaleusement riche.

D’aucuns savent que le M23 réclame à juste titre, l'éradication de la discrimination et de l'injustice sociale, ainsi que le rétablissement d'un système de gouvernance dans lequel la loi s'appliquer à tous, sans discrimination basée des origines ethniques.

Ces exigences ne sont-elles pas justifiées par la chasse aux rwandophones, expulsés de leurs villages, leur bétail décimé, leurs enfants arbitrairement incarcérés dans des prisons ?

Les discours etmessages incitant à la haine contre ces populations rwandophones ne sont-ilspas devenus une culture et un symbole de patriotisme en RDC ? Ces messages sonttenus par des personnalités du cercle des leaders politiques et communautaireset des acteurs de la société civile. Il est largement prouvé que ce phénomènede haine contre les Tutsis a conduit à plusieurs cas de lynchage et decannibalisme.

 Le Congo vit unapartheid sans nom. Il est inconcevable et honteux que la population tutsie duNord et du Sud-Kivu en soit réduite à chercher protection auprès des groupesd'autodéfense, en raison de la discrimination dont elle est victime de la partde l'armée nationale et de l'administration publique infestée d'extrémistes.

 Pour toute autoritéresponsable, le fait que cette population fasse davantage confiance à cesacteurs non étatiques qu'à notre propre armée devrait l'inciter à corriger cetétat de fait plutôt que de l'exacerber.

 Pourquoi toujoursrejeter la responsabilité de cette situation déplorable sur les pays frèresvoisins ou sur une conspiration internationale ?

 Le Congo lui-mêmeincite ses propres enfants à la révolte en maltraitant et en divisant sonpeuple par la mauvaise gouvernance.

 C'est pourquoiaucune solution extérieure ne sera possible, car la source du conflit estinterne.

 On peut détester leM23 pour n'importe quelle raison, mais il a prouvé qu'une guerre ne se gagnepas avec des armes et des troupes nombreuses. Qu'ils soient étrangers ousoutenus par des étrangers, leur détermination et leur ténacité méritent uneattention particulière. Ils devraient être mis à la disposition du Congo plutôtque de les traiter en ennemis lorsqu'ils se défendent.

 L'expertise du M23devrait être considérée comme une ressource à mettre au service de la RDC  plutôt que de chercher seulement à rendreapatrides ses membres. Il n'est pas normal que leurs compétences soientabusivement exploitées par ceux qui profitent de nos divisions.

 Ne serait-il pastemps que ses fils et filles se reconnaissent comme tels et décident ensemblede réécrire l'histoire de la RDC  auprofit de tous ses habitants, sachant que nous devons exercer desresponsabilités vis-à-vis du reste de l'Afrique, notamment de l'Afriquecentrale et de la région des Grands Lacs, dont nous sommes le pivot essentielpour le développement ?

 L'histoire ne serapas tendre avec nous si nous persistons dans le refus systématique d'assumernos responsabilités avec sérieux et maturité. Le rêve panafricaniste des pèresdes indépendances africaines restera certainement une utopie, simplement parce quenous continuons à le remettre en cause à cause de notre égoïsme et d'unepolitique primitive de racisme entre Noirs.

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Alex Mvuka

Doctorant en Sciences Politique et Relations Internationales, Université de Kent. Il est analyste politique sur la région des grands lacs et directeur du Centre de Recherches et d’Analyses sur la Région des Grands Lacs