Le Makanikisme : flamme d’un héroïsme immortel et inspirateur
Ultimement, les Banyamulenge, dans le souci de préserver leur existence et d’éviter l’extinction, doivent chacun s’approprier cette lutte, en utilisant, selon ses moyens, toutes les armes possibles pour défendre notre survivance. Liés par un pacte de sang, nous portons tous une responsabilité : selon l’âge, selon les forces, selon les possibilités de chacun, il y a toujours une tâche à accomplir. Pour moi, au lieu d’être de l’Akagara, je préfère être une tombe sans croix.
Préambule sur la notion d’héroïsme
Il s’appelait Michel Rukunda. Mais très tôt, il reçut un surnom qui allait le suivre jusque dans la légende : Makanika. On l’avait ainsi baptisé en raison de ses mains habiles et de sa rapidité à manier et réparer les armes, dès ses premiers pas dans la vie militaire.
Né en 1974, il fit carrière au sein des FARDC. Son dernier poste fut celui de commandant adjoint à Walikale, dans le Nord-Kivu, où il était chargé des opérations et du renseignement. Mais derrière l’uniforme et les galons se cachait un homme en proie à un dilemme : obéir à une armée devenue l’instrument d’oppressions, ou se dresser pour protéger les siens.
Michel en était à sa deuxième défection. Certains le traitèrent de rebelle. Non, et N-O-N ! Il était bien plus que cela : un homme de cœur. Face aux injustices répétées et aux persécutions infligées à sa communauté par la même armée censée la protéger, il refusa de rester simple spectateur, complice par son silence. En 2020, il prit la décision irrévocable de quitter les rangs et de porter secours à son peuple. Cette décision lui valut l’étiquette infamante de « déserteur ». Mais pour les siens, il devint aussitôt un sauveur. Il mourut comme un héros.
Alors, qu’avait-il de plus qu’un autre fils du terroir, lui qui avait choisi de résister ? Pour comprendre cela, il faut d’abord sonder ce que recouvre le mot héroïsme.
Selon le Larousse, l’héroïsme est « un courage exceptionnel, une grandeur d’âme hors du commun, une bravoure, un dévouement, une intrépidité et une vaillance ». Le dictionnaire Merriam-Webster ajoute : « un héros est une personne admirée pour ses actes courageux ou ses nobles qualités ». Mais ces définitions ne disent pas tout. L’héroïsme n’est pas qu’affaire de bravoure : il est sacrifice, abnégation, inspiration pour autrui.
Les héros nous élèvent. Ils nous rappellent qu’il reste du bien dans le monde. Ils nous obligent à donner le meilleur de nous-mêmes. Leurs récits traversent les siècles : dans les pages de la Bible, dans la littérature, dans l’art, au cinéma. Ils placent autrui avant eux-mêmes, risquent leur vie pour sauver celle des autres. Ils affrontent l’adversité avec persévérance, incarnent un leadership calme et ferme.
De tout temps, des figures héroïques ont jalonné l’histoire de l’humanité et laissé une empreinte durable. L’époque moderne nous rappelle les luttes de Martin Luther King Jr., Gandhi, Mandela…
Le credo du Makanikisme
Les Banyamulenge, presque tous chrétiens, virent en Makanika un nouveau « Gédéon ». Comme le héros biblique auquel Dieu dit : « C'est par les trois cents hommes qui ont lapé, que je vous sauverai et que je livrerai Madian entre tes mains. Que tout le reste du peuple s'en aille chacun chez soi » (Juges 7:7).
À l’instar de Gédéon, Makanika lança sa croisade avec une poignée de jeunes volontaires rencontrés par hasard. Ils n’avaient pas grand-chose, mais portaient en eux une volonté inébranlable : sauver leurs familles.
Depuis 2017, notre communauté, abandonnée par Kinshasa, subissait les attaques de milices venues de toutes parts, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud. C’est pour cette cause que Makanika fit défection, une année seulement après l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi et ses promesses illusoires d’un Congo nouveau.
Certains, aveuglés par l’appât du pouvoir, crièrent à la trahison. Ils se firent appeler « Akagara », c’est-à-dire « maisonnette, boyerie ». Ils accusèrent Makanika de vouloir précipiter sa communauté dans un suicide collectif. Mais ils ignoraient — ou feignaient d’ignorer — que son geste relevait de l’abnégation.
Car Michel Rukunda avait tout quitté : son rang, sa solde, les détournements juteux, les pots-de-vin qui engraissaient tant d’officiers. Il avait même laissé derrière lui sa femme et ses enfants pour embrasser la vie dure du maquis, avec ses périls et ses privations.
Son credo tenait en peu de mots : amour de la patrie, recherche de la paix, refus de se laisser abuser par l’ennemi, engagement total pour permettre aux siens de vivre en harmonie avec leurs voisins sur la terre de leurs ancêtres.
Akagara ou sépulcre !
À l’image de la résistance pacifique de Gandhi contre le colonialisme et de Mandela contre l’apartheid, la résistance par l’autodéfense prêchée par Makanika mérite de devenir un courant de pensée, enseigné dans les écoles et les académies. Ainsi, les générations futures apprendront comment soutenir les peuples discriminés et menacés d’épuration.
Le Makanikisme nous invite à nous dépouiller de notre égoïsme, à cultiver le véritable amour dans nos familles, dans nos églises, dans nos écoles, afin de transmettre une vision inclusive et tournée vers le bien commun.
Ultimement, les Banyamulenge, pour préserver leur existence, doivent agir selon leurs moyens. Cela peut prendre mille formes : contributions financières, écrits de dénonciation — comme celui-ci —, prières des mères et des pères démunis, ou sacrifice suprême des jeunes qui portent les armes. Il n’y a pas d’action trop petite : tout compte.
Mais rejoindre un mouvement mercantile, aussi séduisant soit-il, qui travaille à la division et à la ruine de notre unité, ne doit jamais être une option. À bas l’opportunisme, le clientélisme, le népotisme, et surtout l’appât du gain facile qui pousse certains à vendre leur dignité à l’Akagara et à faire bombarder leurs propres proches par les drones du pouvoir. Pour moi, au lieu d’être de l’Akagara, je préfère être une tombe sans croix.
Michel Rukunda et ses compagnons sont tombés au front pour nous. En choisissant le sacrifice ultime, il a laissé sa femme et ses enfants derrière lui afin de sauver notre communauté. Nous devons le reconnaître et l’honorer, en lui érigeant un mausolée à la fin de cette guerre, comme à notre héros.
Faisons notre deuil. Car, comme le disait Moses Isegawa : « Il n’y a pas d’héroïsme sans cicatrices ». Mais ces cicatrices, aussi profondes soient-elles, ne resteront pas éternelles.
Ce 02 septembre 2025
Rumenge Nt. Alain, M. Sc.
Lecturer et militant des droits de l’homme