Une paix négative au Burundi: Le CNDD_FDD célèbre vingt ans de paix, mais la prospérité reste introuvable
Vingt ans après la fin de la guerre civile, le Burundi célèbre la paix et la stabilité sous le régime du CNDD-FDD. Mais derrière ce tableau officiel, la majorité des Burundais demeure pauvre, avec un PIB par habitant de 154 dollars en 2024. Le pays traverse un paradoxe : la paix célébrée reste négative, avec des institutions extractives qui concentrent le pouvoir et les ressources au profit d'une élite.
Après avoir lu l’article « Le paradoxe autoritaire du Burundi : comment la capture totale de l’État par le CNDD-FDD risque de se transformer en auto-sabotage » paru sur BurundiDaily.net, j’ai pensé à un autre paradoxe dans le contexte des récentes célébrations des 20 ans de règne du CNDD-FDD dont le thème principal était : « 20 ans de stabilité politico-sécuritaire : Tremplin d’une jeunesse engagée pour le développement du Burundi ».
Le paradoxe?
Officiellement, le pays est stable, la guerre a disparu et les élections se tiennent régulièrement. Mais derrière ce tableau officiel, la majorité des Burundais vit toujours dans la pauvreté, avec un PIB par habitant de 154 $ en 2024, un Indice de Développement Humain parmi les plus faibles du monde et tout sous une dictature féroce.
Comment comprendre ce paradoxe ? Pourquoi la paix politique n’a-t-elle pas été transformée en prospérité réelle ? Pour répondre à ces questions, il est essentiel d’introduire plusieurs concepts théoriques qui éclairent le cas burundais.
Paix négative vs paix positive : une distinction essentielle
Le théoricien norvégien Johan Galtung distingue deux types de paix :
- Paix négative : l’absence de conflit ou de violence directe.
- Paix positive : absence de conflit et de violence accompagnée de justice sociale, l’équité, la participation citoyenne et des institutions solides qui permettent le développement.
Au Burundi, la paix est essentiellement négative : il n’y a pas de guerre civile majeure depuis 2005. Mais la paix positive est absente : la majorité des citoyens vit dans la pauvreté, les inégalités persistent et la redistribution des ressources reste insuffisante. La stabilité politique n’a pas été transformée en progrès social ou économique.
Ceci explique en partie pourquoi le Burundi n'a pas réussi à traduire cette paix relative en progrès économique tangible. Le parti au pouvoir s'est principalement concentré sur la consolidation de son pouvoir. Les généraux et leurs protégés cherchent constamment à s'enrichir, exploitant l'appareil d'État à cette fin, au lieu de se concentrer sur une gouvernance équitable. Malheureusement, depuis le changement constitutionnel de 2018 et la capture totale de l'État orchestrée cette année avec des élections frauduleuses dominées à 100% par le parti au pouvoir, la situation devrait empirer.
Institutions extractives vs inclusives : qui profite de la paix ?
Selon les économistes Daron Acemoglu et James Robinson, le développement économique durable repose sur des institutions inclusives. Des institutions qui répartissent équitablement le pouvoir et les ressources, protègent les droits et la propriété et permettent à tous les citoyens d’accéder aux opportunités économiques et politiques.
Le Burundi, en revanche, fonctionne avec des institutions extractives : le pouvoir et les ressources sont concentrés entre les mains d’une élite proche du CNDD-FDD, tandis que la majorité de la population reste marginalisée.
La révision constitutionnelle de 2018 a renforcé ce déséquilibre. Le pays est passé d’une démocratie consociative (qui, il faut l'admettre fonctionnait à peine car gérée par un parti qui n'y croyait pas) — où les différentes composantes ethniques et politiques se partageaient le pouvoir — à un monopartisme de fait. Les élections législatives et collinaires récentes montrent un contrôle quasi total du CNDD-FDD.
La purge des experts : quand l’expertise devient un danger
La crise de 2015 est souvent analysée sous l’angle des violations des droits humains, mais un aspect moins commenté est la purge interne des experts et intellectuels au sein du parti. Des figures telles que Gervais Rufyikiri ont été écartées, et de nombreux cadres compétents ont été marginalisés.
Selon des observateurs, cette décision a été motivée par des généraux peu instruits et déjà méfiants, souffrant d’un complexe d’infériorité intellectuelle, qui ont perçu ces experts comme des menaces à leur autorité. Depuis lors, un mépris pour les expertises et l’analyse rationnelle domine la gouvernance. Les décisions politiques sont souvent capricieuses, prises sans données fiables ni planification budgétisée, accentuant l’inefficacité administrative et l’incapacité à élaborer des politiques publiques cohérentes.
Avec la capture totale de l'État et de toutes ses institutions par le parti au pouvoir qui gouverne désormais sans partage, les prises de décision capricieuses devraient s'aggraver, le chaos et les luttes d'influence internes devraient dominer le paysage politique et le Burundi continuera malheureusement à être appauvri.
CNDD-FDD : une rébellion arrivée au pouvoir sans idéologie cohérente et solide
Une question centrale demeure : si le CNDD-FDD a mené une guerre civile pour « libérer » la majorité hutu des abus et de la pauvreté, comment expliquer qu’aucune politique substantielle n’ait été mise en place pour bénéficier au citoyen lambda après vingt ans au pouvoir ? Certains analystes avancent que le parti, loin d’avoir émergé d’une vision idéologique ou sociale, ressemble à une élite mafieuse, plus intéressée par l’enrichissement personnel que par le développement collectif.
Sans l’initiative de Pierre Buyoya et les Accords d’Arusha, la rébellion aurait probablement été neutralisée par une guerre d’attrition. Ce concept militaire décrit une stratégie où l’usure progressive affaiblit un adversaire incapable de maintenir un effort prolongé. Dans ce scénario, le CNDD-FDD aurait été affaibli, laissant émerger une alternative politique interne hutu capable de proposer un projet politique cohérent. Car rappelons- le, après dix ans de lutte, la rébellion du CNDD-FDD bien qu'elle ait réussi à semer le chaos dans le pays et à paralyser l'économie dans une certaine mesure, n’avait capturé aucun territoire du pays.
Cette stratégie d'usure fut déployée savemment par Eduardo dos Santos en Angola. Il a affaibli la rébellion de Savimbi par une guerre d’usure combinant harcèlement militaire, contrôle territorial, pression économique et isolement diplomatique, conduisant progressivement à l’effondrement de l’UNITA et à la mort prévisible de Savimbi en 2002.
L’économie burundaise : fragile et vulnérable
L’économie du pays reste largement agricole. Café et thé dominent les exportations et sont sensibles aux fluctuations internationales. La population, désormais supérieure à 13 millions d’habitants, exerce une pression croissante sur les ressources et infrastructures. Avec des facteurs aggravants comme l'inflation élevée, qui réduit le pouvoir d’achat, une dépendance à l’aide internationale, qui limite l’autonomie économique, une corruption et clientélisme, favorisant les élites au détriment de l’investissement productif et une absence de diversification économique et d’industrialisation, laissant le pays vulnérable aux chocs externes, l'économie du pays restera dans une situation précaire pour longtemps.
Les citoyens face au paradoxe
Pour la majorité des Burundais, ce paradoxe est visible et tangible. La paix existe, mais elle profite surtout à une minorité. Les citoyens sont conscients du clientélisme, népotisme et l’incapacité des dirigeants à améliorer les conditions de vie. L’écart entre les discours officiels et la réalité vécue nourrit frustration et désillusion. Cependant, la peur généralisée est trop grande pour permettre une expression ouverte de cette frustration. Cet état de frustration généralisée peut mener au point de débordement, plongeant le pays dans un autre cycle de violence.
La théorie du point de débordement explique pourquoi une population longtemps soumise à un régime autoritaire peut soudainement se soulever. La révolte n’est pas simplement causée par un événement isolé, mais par l’accumulation progressive de frustrations sociales, économiques et politiques jusqu’à atteindre un seuil critique. Le parti au pouvoir risque d’être victime de cette théorie si la misère s’aggrave sous sa surveillance au cours des prochaines années.
Conclusion : la paix seule ne suffit pas
Le Burundi montre clairement que la paix seule ne garantit pas la prospérité. Concentration du pouvoir, institutions extractives, rejet des experts et choix économiques erratiques empêchent le pays de transformer sa stabilité en développement humain et économique.
Pour que la paix devienne un moteur de progrès, le Burundi a besoin :
- De réformes institutionnelles profondes, réintroduisant contre-pouvoirs et participation citoyenne.
- D’une gouvernance inclusive, valorisant l’expertise et la compétence.
- De politiques économiques stratégiques, capables de diversifier l’économie et de redistribuer équitablement les ressources.
Vingt ans après la guerre civile, la paix relative existe. Mais elle profite surtout à une minorité. Tant que le système politique restera concentré autour d’un seul parti, que les institutions resteront extractives et que les expertises seront écartées, la prospérité restera hors de portée. Le paradoxe burundais perdurera.
Didier Hakizimana
Sociologue, candidat au Doctorat