Burundi : la paix de la peur face au modèle sud-africain de réconciliation

Au Burundi, la paix a un goût amer. Depuis l’accession du CNDD-FDD au pouvoir en 2005, et surtout après la crise de 2015 déclenchée par le troisième mandat de Pierre Nkurunziza, le pays connaît une stabilité apparente. Mais cette tranquillité est fragile : elle repose sur la répression, la surveillance de la société civile et le contrôle de l’opposition (Amnesty International, 2016).

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17.9.2025
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Politique

Depuis plus de deux décennies, le Burundi est à la croisée des chemins entre réconciliation et répression. L’Accord de paix d’Arusha de 2000 avait ouvert une voie prometteuse : partager le pouvoir entre Hutus et Tutsis, instaurer une gouvernance inclusive et mettre en place une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) pour soigner les blessures profondes du passé (Accord de Paix et de Réconciliation d'Arusha, 2000). Pourtant, ce rêve de paix durable s’est rapidement transformé en une paix fragile, conditionnelle et fondée sur la peur.

L’accession du CNDD-FDD au pouvoir en 2005 a été suivie d’une stabilité apparente. Les violences massives de la guerre civile semblaient derrière le pays. Mais cette tranquillité repose sur un contrôle strict de l’opposition, des médias et de la société civile. Les Burundais qui ne sont pas directement visés par le régime peuvent mener leur vie quotidienne relativement paisible, mais sous la contrainte implicite de la conformité (Amnesty International, 2016). Cette « paix de peur » contraste fortement avec le concept de « paix positive » défini par Johan Galtung, qui inclut la justice sociale, l’inclusion politique et le respect des droits humains.

La crise de 2015 a révélé les fragilités de cette stabilité. La contestation du troisième mandat de Pierre Nkurunziza a été sévèrement réprimée, avec des arrestations massives, des exécutions extrajudiciaires et la fermeture de médias indépendants. Le pays est passé d’une instabilité ouverte à une répression systématique, instaurant un climat de peur durable.

Le tournant majeur est survenu en 2018 avec la révision constitutionnelle. En levant la limite des mandats présidentiels et en modifiant les dispositions clés de l’Accord d’Arusha, le gouvernement a pratiquement abrogé cet accord historique (Vandeginste, 2019). Cette réforme symbolise plus qu’une simple adaptation juridique : elle marque un glissement vers l’autoritarisme et la concentration du pouvoir, fragilisant le partage du pouvoir et les protections institutionnelles prévues pour les minorités. La paix, déjà fragile, devient désormais une simple absence de conflit ouvert, et non un véritable espace de dialogue et de réconciliation.

La Commission Vérité et Réconciliation, conçue pour traiter les violations passées et promouvoir un récit national partagé, a été politisée. Dirigée par Pierre Claver Ndayicariye, proche du CNDD-FDD, elle n’a pas pu remplir son rôle de médiation et de réconciliation (Vandeginste, 2012). L’instrument de justice transitionnelle est ainsi devenu un outil de légitimation du régime, renforçant les fractures ethniques et sociales plutôt que de les guérir.

Pour mieux mesurer l’ampleur de l’échec burundais, il suffit de regarder vers l’Afrique du Sud. Après la fin de l’apartheid, le pays a choisi une voie institutionnelle différente. La Constitution de 1994 constitue un socle stable et inclusif, garantissant les droits fondamentaux et la protection des minorités (South African Government, 1996). La Commission Vérité et Réconciliation (TRC), dirigée par Desmond Tutu, a permis de révéler la vérité sur les violations passées, de reconnaître la souffrance des victimes et de créer un récit national commun (Tutu, 1999). Même si la justice pénale n’a pas été pleinement rendue et que les inégalités économiques persistent, ce modèle a réduit le risque d’un retour immédiat à la violence et a institutionnalisé la réconciliation.

Le contraste est saisissant. Tandis que l’Afrique du Sud a institutionnalisé la réconciliation dans un cadre légal stable, le Burundi a détourné ses instruments de réconciliation pour servir le pouvoir en place. La révision constitutionnelle de 2018, la politisation de la CVR et le contrôle répressif de la société civile illustrent un pays où la paix repose sur la peur et non sur la confiance. La conséquence est un climat social marqué par la méfiance, l’exclusion politique et un risque élevé de crises récurrentes.

La situation burundaise pose ainsi une question fondamentale : peut-on parler de paix lorsque celle-ci est conditionnée par la soumission et la peur ? Le Burundi est coincé dans un cycle où la stabilité apparente masque des tensions profondes, ethniques et politiques, qui restent non résolues. La « paix » devient alors une façade, et le pays demeure vulnérable à de nouvelles crises, comme celles observées après 2015.

L’Afrique du Sud, malgré ses limites, offre une leçon importante. La paix durable nécessite des institutions solides, des mécanismes de réconciliation indépendants et un leadership moral capable de transcender les clivages. Elle montre que le silence imposé par la répression n’est pas une paix, mais une bombe à retardement sociale et politique.

Si le Burundi souhaite rompre avec son cycle de crises et offrir une véritable stabilité à ses citoyens, il devra restaurer l’indépendance des institutions, respecter l’esprit de l’Accord d’Arusha, protéger l’espace politique et encourager un dialogue national inclusif. Sans ces réformes, la « paix » restera une illusion, et le pays continuera de naviguer entre crises politiques et fractures sociales.

Références

Didier Hakizimana

Sociologue, candidat au Doctorat

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