La Charte de l`Unité, un mort-né du Burundi nouveau

Je garde en mémoire cette déclaration d`un paysan de Rango, en 1990, devant les membres de la Commission de l`Unité, venus s`enquérir de la question de l`unité entre les villageois. La déclaration était des plus directes et significatives de la réalité. Elle se traduit en Kirundi comme suit : « Dans notre commune de Rango, il n’y a aucun problème d`unité. Hutu et Tutsi, nous partageons tout. Nous nous entraidons, lorsque c’est nécessaire. Le problème se trouve chez vous les élites, qui vous battez pour des postes. Allez régler vos problèmes de partage des postes...»

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Andre Nikwigize
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3.2.2022
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Opinion

Il est surprenant de voir que chaque année, depuis 1992, les responsables politiques du Burundi se rendent au « Monument de l`Unité », pour commémorer ce jour du 5 février 1991, date de l`adoption de la Charte de l`Unité, votée par 89% de la population burundaise.

En juin 1993, après les premières élections démocratiques, depuis celles de septembre 1961, et la victoire du FRODEBU, le nouveau Président-élu, Melchior NDADAYE, qi affirmait inaugurer « le Burundi Nouveau », donna les assurances de la pleine mise en œuvre de cette Charte nationale, avec plus de vigueur et de détermination.

Je me suis toujours demandé la signification de cette commémoration d`une Charte à laquelle les autorités en place ne croient plus. Y-a-t-il lieu de parler de l`unité des Barundi lorsque la corde ethnique est régulièrement remuée pour mettre en conflits les citoyens ; lorsque le pouvoir en place fait fi des prescrits de cette Charte dans les décisions et actions politiques ; lorsque certains sont exclus des instances politiques, en raison de leur ethnie, de leur région d`origine, de leur religion, ou de leur genre ?

C`était trop beau pour être vrai. Ce jour du 5 février 1991, les Burundais chantaient, les mains dans les mains, pour célébrer le serment qu`ils venaient de sceller, que rien ne viendra plus briser leur unité légendaire. C`était le début d`une ère nouvelle. La hache de guerre était enterrée à jamais. La Charte de l`Unité devenait la référence pour toutes les lois et tous les règlements du pays. La Constitution, les lois, les textes réglementaires, les décrets, les ordonnances, tous prendraient comme point de référence la Charte de l`Unité des Barundi. Aucun régime ne pouvait la violer.

En juin 1993, après les premières élections démocratiques, depuis celles de septembre 1961, et la victoire du FRODEBU, le nouveau Président-élu, Melchior NDADAYE, qi affirmait inaugurer « le Burundi Nouveau », donna les assurances de la pleine mise en œuvre de cette Charte nationale, avec plus de vigueur et de détermination.

Unité brisée, dialogue pour sa restauration

C`était moins d`une année après la prise de pouvoir par le Major Pierre BUYOYA, le 15 août 1988, que des massacres, attribués au PALIPEHUTU, éclatèrent dans les deux communes de Ntega, en province de Kirundo et Marangara, en province de Ngozi. Ces massacres suivaient ceux que le Burundi avait connus, en 1965 et 1972.

Malheureusement, dès l`entrée en fonction du FRODEBU, en juillet 1993, la Charte était déjà morte. Les nettoyages ethniques dans l`administration publique (Gususurutsa), la mauvaise gestion de la question de la récupération des terres par les anciens réfugiés, la reforme maladroite de l`armée, etc. L’unité des Barundi fut consacrée définitivement lorsqu’à la suite de l’assassinat du Président-élu, Melchior NDADAYE, des centaines de milliers de citoyens, en majorité des Tutsi, furent massacrés, et que d`autres furent poussés à l`exil.

Suite à ces massacres, le Président BUYOYA décida de relancer le dialogue sur cette question épineuse. Il mit, aussitôt, en place une Commission Nationale, composée de 24 hautes personnalités, 12 Hutu et 12 Tutsi, et chargée d’étudier la Question de l’Unité Nationale. A l’issue des consultations populaires, a travers de toutes les provinces du pays, des recommandations furent émises aux niveaux des communes du pays, qui furent consignées dans un document national. En date du 5 février 1991, la Charte de l’Unité Nationale fut approuvée par référendum par 89% de la population burundaise. Dans cette Charte, les Burundais proclamaient leur foi dans la pérennité de l’unité nationale. Selon la Charte, l’unité nationale a toujours constitué le recours salutaire contre tous les drames. Pour cela, les Burundais condamnaient tout ce qui viendrait les diviser. Un engagement ferme était pris par les burundais, notamment que :

« Tout Murundi, présent et à venir, qui ira à l’encontre de la présente Charte, se sera rendu coupable d’un acte de haute trahison à l’endroit de la Nation et du peuple burundais ».

Dans son livre, publié en 1998 , le Président BUYOYA expliquera la démarche prise pour engager ce dialogue :

« Dès notre accession au pouvoir, nous avons fait le choix de rompre avec cette politique de l’autruche. Continuer de faire l’impasse sur une réalité génératrice de violences, de morts, d’exclusion, c’eut été faire preuve d’une cécité politique particulière, et prendre la voie de l’aberration. Refouler ou nier un problème n’a jamais aidé à le résoudre. Pour combattre ce fléau nous avons mis en route une politique volontariste construite autour de trois axes : la reconnaissance du problème ethnique, la définition de sa nature par un débat ouvert, et, enfin, une politique d’inclusion et de partage du pouvoir ».

En juin 1993, lorsque le parti FRODEBU accéda au pouvoir par les élections, Madame Colette BRAECKMAN, du journal belge « Le Soir » , posa, au téléphone, cette question au nouveau Président-Elu, Melchior NDADAYE : « Allez-vous, à l'instar du président sortant, BUYOYA, poursuivre une politique d’unité et de réconciliation nationales ? ».  Et NDADAYE de répondre comme suit :

« Bien sûr, c'est notre objectif. Mais nous divergeons quelque peu sur la manière d'aborder ce problème. Le président BUYOYA a grandement contribué à cette unité, mais il l'a surtout défendue au niveau des slogans. Nous, au FRODEBU, nous voulons créer les conditions pratiques pour que se renforce cette unité : renforcer la justice, garantir les libertés individuelles, le respect des droits de l'homme, améliorer la gestion politique et économique du pays.  Lutter contre toutes les exclusions, dans l'enseignement, dans l'administration. II faut que l’unité se crée à partir des conditions objectives de réconciliation, d'égalité entre les citoyens ».

Malheureusement, dès l`entrée en fonction du FRODEBU, en juillet 1993, la Charte était déjà morte. Les nettoyages ethniques dans l`administration publique (Gususurutsa), la mauvaise gestion de la question de la récupération des terres par les anciens réfugiés, la reforme maladroite de l`armée, etc. L’unité des Barundi fut consacrée définitivement lorsqu’à la suite de l’assassinat du Président-élu, Melchior NDADAYE, des centaines de milliers de citoyens, en majorité des Tutsi, furent massacrés, et que d`autres furent poussés à l`exil.

La question d`unité, un tremplin d`accès au pouvoir

Je garde en mémoire cette déclaration d`un paysan de Rango, en 1990, devant les membres de la Commission de l`Unité, venus s`enquérir de la question de l`unité entre les villageois. La déclaration était des plus directes et significatives de la réalité. Elle se traduit en Kirundi comme suit : « Dans notre commune de Rango, il n’y a aucun problème d`unité. Hutu et Tutsi, nous partageons tout. Nous nous entraidons, lorsque c’est nécessaire. Le problème se trouve chez vous les élites, qui vous battez pour des postes. Allez régler vos problèmes de partage des postes, et le Burundi aura la paix. Nous ne comprenons pas pourquoi vous venez nous expliquer les bienfaits de l’unité entre nous, parce qu’elle existe depuis longtemps ». Un message qui mérite qu`on y réfléchisse.

Une éducation à la paix et à l`unité du peuple burundais devrait être lancée en vue de rappeler aux Burundais leur cohésion et solidarité légendaires qui ont fait la fierté de ce pays. Evidemment, l`exemple doit venir d`en haut.

Effectivement, de tous temps, la nation burundaise était caractérisée par la cohésion et la solidarité sociales. Les Burundais partageaient tout, les bonnes choses, comme les mauvaises, comme ils le disaient eux-mêmes, « Basangira akabisi n`agahiye ». Cette cohésion et cette solidarité furent brisées lorsque les puissances étrangères occupantes ont introduit dans la société burundaise la philosophie du « diviser pour régner », notamment, par l`introduction du virus des catégorisations ethniques au sein de la population et la création des antagonismes ethniques entre les Hutu et les Tutsi.

Depuis le retour de la souveraineté nationale, le 1er juillet 1962, ce virus de l`ethnisme n’a cessé de causer des ravages énormes au sein de la population, à cause, justement des élites qui utilisaient leur appartenance ethnique, comme tremplin, les uns, pour accéder au pouvoir, les autres pour s’y maintenir. En 1965, en 1972, en 1988, c`est toujours le même scenario : les élites organisent instrumentalisent les populations, afin de se servir d`elles pour leur lutte pour accéder au pouvoir ou se maintenir au pouvoir. Les populations civiles, qui, d`habitude, sont pacifiques, solidaires et unies, sont entrainées dans des actions de massacres, des tortures de leurs frères. Mais qu`en retirent-elles ?

Restaurer la Charte de l`Unité pour un vivre-ensemble entre communautés

Après 31 ans d`une Charte mort-née, les responsables du pays devraient avoir le courage politique pour lancer le chantier en vue, soit de réactualiser cette Charte, soit renouer le dialogue en vue d`un nouveau contrat du vivre-ensemble entre communautés. Une éducation à la paix et à l`unité du peuple burundais devrait être lancée en vue de rappeler aux Burundais leur cohésion et solidarité légendaires qui ont fait la fierté de ce pays. Evidemment, l`exemple doit venir d`en haut. IL N’EST PAS ENCORE TROP TARD POUR BATIR CETTE NATION ET DONNER UN AVENIR RADIEUX POUR LES GENERATIONS FUTURES.

(1)Pierre BUYOYA : Mission Possible : Construire une Paix Durable au Burundi, Paris, L`Harmattan, 1998, p75

(2) Journal Le Soir du 7 juin 1993. Burundi : Interview du Président élu.

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Andre Nikwigize

Ancien Conseiller Economique Principal auprès du Secrétariat Général des Nations Unies à New York. Auparavant, il a exercé les mêmes fonctions auprès de la Commission Economique des Nations Unies pour l`Afrique (CEA). Economiste de formation, Monsieur Nikwigize a occupé respectivement des postes de Chef en charge des Questions Macroéconomiques à la Présidence de la République, Directeur de la Planification Economique et Directeur Général du Plan auprès du Premier Ministre entre 1982 et 1991