Burundi, terreau privilégié d'une justice à deux vitesses
Si la justice existe réellement, son lieu de prédilection n'est sans doute pas le Burundi, pays dont le système judiciaire se complaît dans le giron de l'exécutif. Une justice à deux vitesses en raison de sa vision foncièrement dichotomique des citoyens burundais, des justiciables pour ainsi dire.
D'une part, elle a en effet dans sa ligne de mire des citoyens-délinquants ou criminels ataviques qui, prévenus ou pas, traînent toujours comme un boulet un délit pénalement répréhensible. Des tutsis.
Citoyen de seconde zone, ils sont toujours dans le viseur judiciaire ou policier et la moindre peccadille mène à la prison, dans le meilleur des cas. Sinon à la mort, disparition forcée et autres enlèvements.
D'autre part, il y a des hutus. Sous le double prisme judiciaire et policier, ils sont toujours au dessus de tout soupçon. Sous l'œil bienveillant du pouvoir, ils tuent, agressent, calomnient sans que l'appareil judiciaire ne sourcille.
Quelques cas de l'actualité brûlante illustrent à souhait cette image d'une justice burundaise à deux vitesses, car aux ordres.
C'est, notamment, le récent dossier d'une certaine Divine Kezakimana, la vingtaine, détenue dans le cachot du commissariat municipal de Bujumbura.
Cette jeune tutsie a été écrouée pour avoir traité « d'impolis indignes de sa fréquentation », les jeunes ados des quartiers du nord comme Buterere, Kamenge et Kinama.
En lançant de tels propos sur You Tube, Divine ne faisait que jaser, cela va sans dire. Mais elle a peut-être oublié qu'elle parlait des quartiers populaires abritant massivement des hutus, dont une bonne frange de militants Imbonerakure du CNDD-FDD. C'est ainsi qu'une armada de policiers et de jeunes Imbonerakure est allée la cueillir.
Son dossier rappelle, en outre, celui d'une autre femme tutsie mise au noir depuis plusieurs mois pour une blague entre amis de service, Madame Gloriose Karerwa Kamikazi.
Cette ancienne employée de la mairie de Bujumbura est en prison pour avoir envoyé à son collègue, via WhatsApp, un message audio où elle se moquait des femmes membres de l'association INTWARI, anciennes combattantes du mouvement CNDD-FDD au pouvoir comme parti politique aujourd'hui.
Pour cette broutille, le ministère public a considéré qu'elle manifestait ainsi de la haine envers une partie de l'ethnie hutue et a donc requis trois ans de prison et un million de FBu de dommages et intérêts à chacune des 600 membres de l'association pour « aversion raciale », « imputation dommageable et injure » et outrage à fonctionnaire.
De tels cas sont légion. Mais à cette longue liste s'ajoute l'honorable Cathy Kezimana, une jeune femme tutsie militante du parti CNL, qui a été emprisonnée en pleine campagne électorale après avoir accusé le parti au pouvoir de tuer, exiler et malmener les membres de l'opposition.
Pour ses propos publics et critiques, cette opposante a été coffrée mais libérée peu après et élue député malgré tout.
Dans le camp adverse, rien à signaler chez les gentils hutus. Même les appels au lynchage des tutsis restent étonnamment inaudibles.
Que dire en effet d'un certain Kenny Claude Nduwimana ? Un jeune hutu visiblement missionné par le régime pour diaboliser ou chosifier les tutsis jusqu''à appeler à leur mise à mort.
Depuis quelques mois, il propage des messages audio charriant une rare haine envers les tutsis qu'il qualifie allègrement de « chiens » ou « chacals » à tuer et jeter dans les toilettes.
Ses propos n'inquiètent aucune autorité jusqu'au jourd'hui.
Selon des observateurs son discours augure, à l'instar de la radio Mille Collines du Rwanda, une tragédie aux dimensions génocidaires.
.